07/30 L’apostrophe est importante.
La société Hori est un fabricant d’accessoires indissociable du jeu vidéo japonais depuis la Famicom. D’abord spécialisée dans les accessoires de téléviseurs, la compagnie s’est révélée au grand public en embrassant la console de Nintendo avec (me semble-t-il) son tout premier joystick, le Joystick 7, puis tout un paquet de périphériques plus ou moins loufoques. Néanmoins, ce n’est qu’en 1992 et sur Super Famicom que Hori a réellement gagné ses lettres de noblesse, grâce au phénomène Street Fighter II et plus généralement au boom des jeux de baston, avec deux des périphériques les plus populaires et iconiques de la génération : le Fighting Stick et le Fighting Commander.
Les deux ont connu tellement de succès que des versions de ces contrôleurs sont sorties sur pratiquement toutes les consoles un tant soit peu concernées par la baston depuis. On a encore des Hori Fighting Sticks et Hori Fighting Commanders sur les consoles de la génération actuelle. Hori a même ressorti le Fighting Commander originel pour la Nintendo Classic Mini Super Famicom en 2017.
Hori ayant commencé à supporter les consoles de Sega dès la génération MarkIII / Master System, la Sega Saturn a évidemment eu droit à son Fighting Stick SS dès la sortie de la console (novembre 1994) et son Fighting Commander SS l’été suivant (juillet 1995).
Mais c’est aussi à cette époque que la fidélité des adaptions sur consoles de hits de l’arcade a commencé à devenir un rêve accessible et surtout une préoccupation des consommateurs japonais – en partie par la faute-même de Sega, qui promettait l’arcade à la maison puisque c’est sur le marché de l’arcade que la marque connaissait le plus de succès. Pour assouvir cette promesse, une nouvelle génération de périphériques est née : les joysticks promettant la vérisimilitude de l’expérience arcade.
Chez Sega, le symbole évident de cette évolution des attentes des joueurs est la transformation du Virtua Stick entre le premier modèle HSS-0104, sorti lui aussi en même temps que la console, et le bien mieux connu HSS-0136 sorti durant l’été 1996.
Mais le tout premier stick arcade promettant l’expérience arcade à la maison, avant même le Virtua Stick HSS-0136 ou son alter ego Namco Joystick chez la crèmerie d’en face, c’est Hori qui l’a sorti dès le 1er décembre 1995 sur Saturn, pour coller avec la sortie de Virtua Fighter 2. Et le nom vous dira quelque chose, puisqu’il s’agit du Real Arcade VF, et donc la naissance de la gamme de joysticks Real Arcade qui sévit encore aujourd’hui. Vous chérissez votre Real Arcade Pro V.Hayabusa en 2024 ? Vous pouvez remercier la Saturn et son portage de Virtua Fighter 2.
Il est quasiment impossible de surestimer l’impact commercial et culturel de Virtua Fighter 2 au Japon entre son arrivée dans les salles d’arcade fin 1994 et le ruissellement des effets de sa sortie sur Saturn, le 1er décembre 1995 au Japon. Je pourrais facilement consacrer la moitié des trente posts de cet anniversaire à une anecdote liée de près ou de loin à VF2.
C’est littéralement lui qui a fait vendre la console, quand Sega a promis dès le mois de novembre 1994 que VF2 sortirait sur Saturn, en même temps qu’un portage faiblard du premier Virtua Fighter accompagnait la sortie imminente de la console. Une suite qui était donc promise avant même la sortie du jeu précédent.
Vu la tronche de VF1 sur Saturn, le portage d’un jeu de baston venu du Model 2 ressemblait d’avantage à une promesse électorale chiraquienne qu’à un objectif sensé et crédible. Pratiquement chaque nouveau numéro de SegaSaturn Magazine ou de son concurrent SaturnFan promettait des infos sur le portage de VF2, l’espoir grimpant à chaque nouvel article, avant la sortie triomphale d’un portage finalement presque parfait.
Sur leur première année commune, la Saturn s’est mieux vendue que la PlayStation au Japon quasiment sur la seule promesse de Virtua Fighter 2, qui reste aussi le seul jeu de la console à avoir passé le million d’exemplaires vendus (1.3 millions plus précisément). Bref ! Il y avait de quoi s’accrocher au wagon de la hype, ce que Hori a compris mieux que personne.
Vous avez pu le voir ci-dessus sur la boîte mais mais la décision radicale de Hori, c’est d’avoir reproduit les trois boutons iconiques GPK du panel arcade de Virtua Fighter 1 & 2, avec le même code-couleur pour les boutons de garde (vert), poing (bleu) et pied (rouge ou rose selon les panels).
C’est donc un périphérique qui se prive sciemment de cinq des huit boutons de la manette Saturn, ce qui le rend inutilisable ou fort contraignant pour la majorité des jeux dispos sur la console. Encore plus strict : il se prive volontairement de fonctionnalités supplémentaires comme un turbo ou un auto-fire, qui pourraient justifier l’achat au près des fans de shmups.
Nan ! C’est un stick pour VF2, pour les fans hardcore de VF2, et pour la petite dizaine de jeux Saturn qui ont singé l’interface de gameplay de Virtua Fighter. Et tout porte à croire que le stick a cartonné. Mis à part le simple constat des concurrents sortis ensuite par Sega et Namco, ou l’héritage encore entretenu aujourd’hui de la gamme Real Arcade sur les plates-formes modernes, on trouve facilement et pour pas cher des pelletées de sticks Real Arcade VF dans les magasins d’occasion et sur les sites aux enchères.
Voilà pour l’intro. Ah oui parce que, moi, en fait, aujourd’hui, ce n’est pas vraiment de Hori, de VF2 ou du Real Arcade VF dont je voulais vous parler. Tout ça, c’était juste pour situer le contexte d’un bidule méconnu que je trouve particulièrement rigolo et qui est le vrai sujet de ce post : le Real Arcade VF’. (L’apostrophe est importante.)
Je mentionnais ci-dessus « la petite dizaine de jeux Saturn qui ont singé l’interface de gameplay de Virtua Fighter » ; Sega eux-mêmes ont bien compris ce qui faisait vendre la Saturn, et a donc réussi l’exploit de sortir ces six titres en l’espace de 760 jours (donc un jeu tous les quatre mois environ) :
1994.11.22 | Virtua Fighter (¥8800)
1995.07.14 | Virtua Fighter Remix (¥3400)
1995.12.01 | Virtua Fighter 2 (¥6800)
1996.07.26 | Virtua Fighter Kids (¥5800)
1996.08.30 | Fighting Vipers (¥6800)
1996.12.21 | Fighters Megamix (¥5800)
VF Remix, bon ! C’est pour patienter et pardonner le portage à l’arrache de VF, comme une espèce de démo payante du moteur du futur portage de VF2 vendu à petit prix, avant qu’on puisse patcher les jeux déjà sortis.
VF Kids, à la rigueur, c’est une espèce de jeu-gag à l’origine créé pour la borne d’arcade partageant sa carte-mère avec la Saturn, pour les opérateurs ne pouvant pas se payer une borne VF2 ou ciblant un public plus casu. Le portage Saturn était fastoche, et personne n’avait un flingue sur la tempe pour l’acheter.
Le vrai combo maboule, c’est VF2 (décembre) → Fighting Vipers (août) → Fighters Megamix (décembre). Fighters Megamix étant le jeu qui réunit les persos de VF2 et Fighting Vipers.
Bizarrement, je n’ai absolument aucun souvenir que cela ait posé problème à qui que ce soit à l’époque. Je suis convaincu qu’il y a eu des grincheux, hein, mais autour de moi, nib’, on était tous extatiques d’avoir aussi rapidement un excellent portage de Fighting Vipers puis, oh joie, un crossover de tous ces jeux quatre mois plus tard. Même le manuel de Fighters Megamix est super relax à ce sujet.
Du point de vue de Sega, il s’agissait évidemment de profiter autant que possible de la popularité de VF2, de pouvoir proposer un titre vendeur pour la fin d’année, et surtout d’occuper le terrain avant un portage Saturn déjà promis mais compliqué de Virtua Fighter 3, qui venait de faire l’évènement avec ses graphismes sidérants lors de sa présentation à l’AOU’96 au début de l’année puis sa sortie en arcade en septembre.
Histoire quand même de nous faire avaler la pilule, Sega a non seulement mis le paquet dans les contenus de Fighters Megamix, et vendu le jeu à un prix plus abordable que Fighting Vipers, mais surtout expliqué que Fighters Megamix serait un avant-goût de Virtua Fighter 3, en adoptant le système de jeu de VF3 et en rajoutant aux persos de VF2 leurs nouveaux coups de VF3.
Sauf que la grande nouveauté controversée de VF3, c’est l’ajout d’un quatrième bouton d’esquive. Et donc Fighters Megamix a introduit, comme promis par Sega, ce même bouton d’esquive (sur le bouton de tranche R) un an après Virtua Fighter 2.
Du coup, les possesseurs de Real Arcade VF l’ont eu dans le baba et Hori a, au choix, flairé la bonne occasion ou ressenti le devoir civique de sortir ce Real Arcade VF’ rajoutant un quatrième bouton le même jour que Fighters Megamix, avec la promesse tacite que le joystick servirait éventuellement au futur portage Saturn de Virtua Fighter 3 (qui n’est finalement jamais sorti).
L’autre détail que je trouve intéressant avec le regard « collectionneur » de 2024, c’est que le Real Arcade VF’ est – sans grande surprise – bien plus rare que le Real Arcade VF, mais les côtes en ligne des deux joysticks restent étonnamment proches, comme si personne n’avait remarqué qu’il y a deux versions de ce stick, ou pas complètement digéré à quel point l’une surclasse l’autre.
J’aurais presque tendance à dire : flairez la bonne affaire !
Ou bien, au minimum : attention, n’achetez pas le Real Arcade VF sans apostrophe !
L’apostrophe est importante.