NANATSU KAZE NO SHIMA MONOGATARI
Le mois dernier, Gamekult a célébré le trentième anniversaire de la carrière de Grégoire « Greg » Hellot comme journaliste de jeu vidéo dans une longue émission assez passionnante (derrière un paywall), a fortiori si vous avez connu l’époque.
Je ne vais pas vous faire un laïus sur Greg que beaucoup d’entre vous connaissent, et que certains connaissent même intimement ici, mais c’est quand même dingue à quel point il a influencé les goûts, connaissances et préférences de toute une génération de joueurs en rendant « populaires » ou au moins tangibles des trucs a priori abscons comme Tengai Makyō, Valis, Dragon Quest, Spriggan, Snatcher, Super Robot Taisen, ou encore ce petit RPG obscur et hardcore nommé Pocket Monsters.
Je suppose - et là je dépasse clairement mon domaine de compétences donc n’hésitez pas à me corriger - qu’on retrouve un peu ce genre d’influence désormais avec les vidéastes populaires comme MisterMV ou Le Joueur du Grenier qui font découvrir des vieux jeux ou des pépites indés à une nouvelle génération de gamins. Greg etait un peu un l’influenceur préhistorique du jeu vidéo français. J’espère que ses héritiers et héritières ont aussi bon goût.
Je dois moi aussi énormement à Greg et je réfléchissais post-émission à tous les jeux que j’ai achetés ou au contraire révoqués sur la seule bonne foi d’un bon mot de Greg, à une époque absurde où la qualité d’un jeu était arbitrairement établie sur un barême de 100%. Haha, qu’on était con, imaginez si toute l’industrie du jeu vidéo avait décidé de suivre un tel système pour filer des bonus aux employés ou valider de nouveaux jeux ! Haha, non mais vraiment.
Enfin bref ! En ces temps barbares, Joypad notait sur 100 et Greg avait collé un imparable 98% à Nanatsu Kaze no Shima Monogatari (la fable de l’île aux sept vents), un des gros jeux Saturn de Noël 1997. Le jeu faisait partie d’une assez impressionnante remontada critique de la Saturn, en tout cas dans les pages import de Joypad (et principalement orchestrée par Greg, ce saint homme) pour les numéros du premier semestre 1998 avec des critiques dithyrambiques sur Sakura Taisen II, Grandia, Shining Force III, Super Robot Taisen F-Kanketsuhen, Dragon Force II, Azel Panzer Dragoon RPG, Layer Section II, X-Men Vs. Street Fighter, Vampire Savior et bien d’autres. Ces pages import étaient un peu le safe space du joueur Saturn à l’époque.
Bon d’un autre côté, c’est le même gusse qui colle sur la même page un 07% assez scandaleux à Magical Date, un des meilleurs party games des années 90, donc il faut savoir relativiser les choses a posteriori.
L’autre détail important dans cette manchette, c’est l’éditeur du jeu. On était en plein dans la grande époque expérimentale d’Enix, un de mes éditeurs préférés dans les années 90. Ils avaient enchaîné des perles bizarroïdes comme Actraiser, Soul Blader, E.V.O., Wonder Project J2 et Yuke Yuke Troublemakers. Ils allaient continuer avec Planet Laïka, Segare Ijiri et Suzuki Bakuhatsu. Sans oublier l’éternelle chimère Dragon Quest VII, le RPG avec une tronche de jeu Famicom et qui allait finir par sortir après la PS2. Quoi qu’il arrive avec une production Enix pré-Square-Enix, on savait qu’on allait pénétrer dans un univers assez incomparable. Le E vert du logo faisait gage d’achat sans regret ; c’était le Seal of Quality des productions japonaises cheloues.
En somme, 98% par Greg pour un jeu import d’Enix sur Saturn, ça marque un jeune homme en besoin de repères et je m’étais donc presto mis en quête d’acheter Nanatsu Kaze no Shima Monogatari, quand bien même le test signalait clairement que cela ne servait strictement à rien d’y jouer sans parler japonais. Je ne sais plus trop quand je l’ai chopé ; je crois que la Dreamcast était déjà sortie. Ai-je passé du bon temps dessus ? Boah, je me suis sans doute persuadé que oui, même si c’est l’un des rare jeux Saturn que j’ai revendus à l’époque car je commençais à galérer niveau thunes pour suivre le rythme délirant des sorties. En tout cas, c’était un des plus beaux jeux vidéo que j’avais vus de ma vie, mêlant sprites traditionnels, scans d’aquarelles et numérisations de maquettes animées en image-par-image.
C’est joli, hein ? Imaginez un peu, à l’époque, sur un écran CRT.
Il y a quelques années, j’ai décidé de rejouer à Nanatsu Kaze no Shima Monogatari, avec le bénéfice de la perspective, de la maturité et d’une bien meilleure compréhension de ce qui se passait à l’écran. Ce fut une révélation. Pas vraiment pour le contenu de l’histoire ou l’expérience ludique, qui ne m’ont franchement pas marqué plus que ca, mais pour son staff et les noms soudainement reconnaissables dedans.
Nanatsu Kaze no Shima Monogatari a été développé par Givro. C’est un studio lui-même né des cendres d’Almanic, un des studios bourlingueurs les plus attachants des années '90. Fondé par un ancien de Technos, Almanic est surtout connu pour le développement de 46okunen Monogatari (sorti en occident sous le titre E.V.O.: Search for Eden) sur PC-98 et Super Famicom. Fidèles à leurs racines, Almanic avait aussi participé à des jeux d’action à qualité variable, tels que Shien: The Blade Chaser (bof), Mazin Saga (merveilleux) ou mon plaisir coupable Fighting Masters (bof-erveilleux).
Shien: The Blade Chaser et Mazin Saga étaient des projets liés à Dynamic Pro, le studio de production de Nagai. Il avait lui-même (en tout cas officiellement) participé à la conception des univers des jeux, d’où les persos semblant sortis tout droit de Devilman et Mazinger. Cette collaboration a manifestement convaincu Almanic que leur avenir commercial se trouverait dans les collaborations avec des artistes respectés. Ils ont donc embauché Kawamoto Toshihiro, le fondateur du studio d’animation Bones (Cowboy Bebop etc.) pour développer ensemble Wonder Project J, simulateur d’éducation d’enfant articifiel (une sorte de marionnette à la Pinocchio) sur Super Famicom. Comme pour E.V.O., c’est Enix qui a publié le jeu, devenant en quelque sorte le patron des arts d’Almanic.
Le succès de Wonder Project J valida cette stratégie d’entreprise et conduit Almanic à se reformer sous le nom Givro, avec manifestement quelques changements de staff, ainsi sans doute qu’une restructuration administrative. Malheureusement, la période Givro ne connut pas le même succès.
Wonder Project J2 fut ainsi développé avec un autre animateur légendaire, Yamashita Akihiko, et fut présenté en grande pompe par Enix et Nintendo comme l’un des jeux-clefs des débuts de la Nintendo 64, pour le premier Noël japonais de la console en 1996. Ce fut malheureusement un four commercial, probablement car le public potentiel de ce jeu était à l’époque d’avantage sur PlayStation ou Saturn, voire encore à l’aise sur leur Super Famicom. (Enix a brièvement considéré puis abandonné un portage sur PlayStation.)
Leur sortie suivante fut Nanatsu Kaze no Shima Monogatari, sorti un an plus tard pour le Noël 1997 de la Saturn. Le jeu bida autant que Wonder Project J2, suffisamment en tout cas pour couler la boîte. Les coûts de développement avaient gonflé par la faute des nombreuses techniques différentes employées pour sa représentation visuelle, mais surtout ce jeu n’était pas du tout ce que le public japonais de la Saturn réclamait fin 1997. Retranchée dans une frange assez hardcore de fans d’Evangelion, de portages d’arcade et de thrillers érotiques, la fanbase Saturn s’était réjouie de l’arrivée annoncée en grandes pompes d’Enix sur la console, imaginant un peu présomptueusement que la Saturn allait récupérer Dragon Quest VII de la même manière que Sony avait chourré Final Fantasy VII à Nintendo. Autant dire qu’un petit conte interactif paisible pour tous publics ambiance CD-ROM Macintosh ne correspondait pas vraiment à la mood du moment.
La morale de l’histoire, c’est que Greg avait raison : a posteriori, Nanatsu Kaze no Shima Monogatari est considéré au Japon comme un grand jeu d’aventure mésestimé par le public à l’époque de sa sortie. Ca fera une belle jambe à Givro, mais le jeu est désormais un classique du répertoire de la Saturn. Personnellement, je suis surtout fasciné par l’hérédité transparente avec leurs jeux précédents, ce rapport continu au concept d’éduquer un être vivant innocent qui découvre son univers, qu’on parle d’un sarcoptérygien (E.V.O.), d’un enfant artificiel (Wonder Project J) ou d’un dragonnet (Nanatsu Kaze no Shima Monogatari).
Si vous êtes perspicaces, vous l’avez peut-être remarqué : reste dans tout ce puzzle référentiel un dernier aspect primordial du jeu dont je n’ai pas encore parlé. Mais cela me donne l’occasion d’embrayer sur une autre exclusivité intéressante de la Saturn, donc veuillez patienter un peu.