Comme je suis coincé à la maison à garder ma fille covidée, soit l’assurance d’une productivité zéro pour la journée, un petit récap des jeux joués ces derniers mois en famille ou entre amis.
Le Dilemme du Roi (3-5 joueurs):
On a fini la campagne il y a un moment, à 5 joueurs (clairement la config idéale), et c’était vraiment, vraiment génial.
C’est une simulation de Game of Thrones sans la licence, mais plus réussie que tous les jeux officiels.
Chaque joueur y dirige une famille noble du random-fantasy-royaume local, le jeu débute à la mort du souverain et on se tire la bourre pour contrôler la destinée ultérieure du pays, que ce soit en montant sur le trône ou en tirant les ficelles en coulisses, et en fonction de ses intérêts, on s’efforce de mener le royaume à la prospérité… ou à sa ruine.
Il s’agit d’un système Legacy en campagne unique.
(Rappel: système Legacy = jeu en campagne dont les règles et le matériel évoluent d’une partie à l’autre par le biais d’enveloppes/planches d’autocollants/compartiments scellés à ouvrir quand le jeu l’indique, de ce fait généralement jouable une seule fois. C’est le cas ici puisqu’on écrit sur les cartes et qu’il y a des autocollants à coller sur le plateau, quoique en écrivant au crayon et en collant à la patafix, on peut tout à fait passer le jeu ensuite à des potes pour une autre campagne. Vu les twists, on ne peut pas y rejouer soi-même par contre).
Le gameplay est vraiment simple: chaque tour, on révèle un « dilemme »: famine dans les campagnes, hérétiques qui énervent l’église (pour les plus soft)…, et on vote sur les 2 solutions proposées pour le résoudre, puis on regarde le résultat au dos de la carte.
Chaque choix impacte la situation du royaume, modélisée par des sliders dans plusieurs caractéristiques (puissance militaire, santé de la population, science…). Si un slider arrive à une extrémité de l’échelle +/-, le roi abdique/meurt assassiné, et la partie s’achève (il peut aussi mourir « naturellement » si la partie s’éternise).
Chaque joueur révèle alors son objectif secret qui change à chaque partie, et qui attribue des points en fonction de la configuration des sliders en fin de partie. Ces points, de « prestige » ou de « convoitise », représentent la coloration politique de son camp au sein du royaume (légaliste ou rebelle), et déterminent la victoire en fin de campagne.
Cette victoire finale est un peu anecdotique et se joue souvent à pas grand chose, mais le suivi de la destinée du royaume au fil de la campagne tisse un récit vraiment sympa, d’autant plus qu’il est le fruit des choix des uns et des autres. Certains votes peuvent d’ailleurs occasionner des effets à long terme par le biais d’autocollants à coller sur le plateau ou de cartes à conserver qui viennent modifier les règles ou en ajouter de nouvelles (usuriers, tournois, guerre contre les voisins, pour les plus soft), et on peut pester longtemps contre tel joueur qui aura affamé le royaume pendant des décennies pour quelques points, et s’entêtera parfois dans ses choix jusqu’au-boutistes par pur plaisir du roleplay…
Pour finir la campagne, compter une quinzaine de parties, mais elles sont assez courtes (45mn en moyenne) et on peut facilement en enchaîner 2 ou 3 dans la même soirée.
The King’s Dilemma conviendra plutôt aux amateurs d’expériences sociales et narratives plutôt qu’aux « cubipousseurs » adeptes d’équations à trois inconnues.
Attention, le jeu évoque parfois des thématiques assez trash (à la Game of Thrones), donc à réserver aux 16 ans et +.
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Clank! Legacy (2-4 joueurs):
une version en mode campagne/legacy du jeu de deckbuilding/exploration de donjon à succès.
Rappel: jeu de deckbuilding (passez ce paragraphe si vous connaissez le principe).
Un « deckbuilding » est un jeu de cartes dans lequel les joueurs démarrent avec un paquet (« deck ») standard très limité et identique, généralement 10 cartes partagées entre cartes « monnaie » et « attaques/effets », paquet dont on va piocher une main (5 cartes en général) à chaque tour.
On va jouer les cartes de sa main pour déclencher leur effet. Les cartes « monnaie » servent à acheter des cartes plus efficaces parmi l’offre de cartes visibles étalées au centre de la table (le « marché »). Ces cartes achetées sont ajoutées à la défausse du joueur.
En fin de tour, le joueur repioche une nouvelle main de 5 cartes de son paquet. Si celui-ci est épuisé, il va mélanger sa défausse pour constituer sa nouvelle pioche, qui va donc intégrer les cartes plus efficaces « achetées » précédemment au marché.
Le jeu se poursuit ainsi jusqu’à ce qu’un joueur ait accompli l’objectif du jeu (généralement infliger un nombre prédéfini de dégats à l’adversaire (ou au boss dans le cas d’un jeu coopératif), ou aligner devant soit un certain nombre de cartes « à points de victoire » achetées au marché).
Il s’agit donc en gros d’un dérivé des jeux de carte à la Magic the gathering qui ramènerait à l’intérieur de la partie la dimension « construction de deck » qui dans Magic a lieu en dehors, et qui est l’un de ses aspects les plus intéressants.
Aujourd’hui, le « deckbuilding » constitue un genre en soi dans le domaine des jeux de société, mais également une mécanique qui peut être intégrée à des jeux relevant d’autres genres (le jeu de pose d’ouvriers, le wargame, etc.).
Clank! Legacy, c’est un peu l’archétype du mode legacy collé sur un jeu préexistant: on empile des tonnes de boîtes à ouvrir, autocollants à coller et nouvelles règles qui viennent s’ajouter progressivement, et une petite dimension narrative par le biais d’un livret dont on lit des passages quand le jeu vous le demande, avec ici aussi des choix qui impactent (un peu) le déroulé des parties et le plateau (réversible).
Vu l’ambiance du jeu d’origine, le scénario et les textes sont dans le registre comique assez léger, mais le souci est qu’il y en a beaucoup à lire, et que le jeu, assez simple et fun à la base, est constamment interrompu pour vous faire ouvrir, coller, lire de nouveaux trucs. Le mieux est en l’occurrence l’ennemi du bien, et quand la durée d’une partie passe de 45mn pour la version d’origine à 2h pour celle-ci sans que l’expérience de jeu en soit grandement améliorée, je pense qu’on est face à un échec d’implémentation du système Legacy, d’autant que le jeu d’origine, très sympa mais tout de même un peu limité (d’où les innombrables extensions), n’était déjà pas propice à l’enchaînement des parties.
Point positif, le jeu reste jouable après la fin de la campagne, et même combinable avec le Clank! de base. Mais personnellement, je conseillerais plutôt ce dernier dans le registre « deckbuilding avec plateau ».
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Le Seigneur des Anneaux: voyages en Terre du milieu (1-5 joueurs) :
C’est un jeu en campagne (non legacy dont théoriquement rejouable) qui utilise obligatoirement une appli (PC/iOS/android). Celle-ci raconte le scénario, met en place le plateau modulable de chaque mission, gère la progression des personnages (avec montées en niveau etc), le loot, les résultats des combats etc. Je pensais que ce serait trop intrusif, mais au final c’est sans doute la version optimale d’un système que l’éditeur (FFG) expérimente depuis quelques années sur plusieurs de ses jeux (la version « trop plein, on a + le nez sur l’écran que sur le plateau » étant probablement celle de la 3e édition de Descent: Legends in the dark).
Le jeu fonctionne grâce à une bonne exploitation de sa licence (on est dans l’univers de Tolkien, on croise des personnages connus etc mais sans revivre exactement les aventures des romans, ce sont des histoires créées pour le jeu), et un système malin et pas trop compliqué à base de gestion de cartes qui figurent à la fois les compétences des personnages et les probabilités de succès de leurs actions.
Comme d’habitude chez FFG, ça dégueule un peu son matos dans tous les coins (jetons, figurines, cartes etc) et ça pousse à l’achat d’extensions (campagnes supplémentaires etc), mais pour un jeune public (10-15 ans chez nous) amateur de fantasy, ça marche vraiment très bien, d’autant que le jeu est full-coop donc pour une fois les enfants ne vont pas se taper dessus (juste se reprocher leurs mauvais choix, leur malchance atavique, leur égoïsme congénital, etc…)
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Everdell (1-4 joueurs):
Jeu de « tableau à composer » à la Settlers / Wingspan etc, avec des cartes et un peu de pose d’ouvriers. On envoie les ouvriers récupérer des ressources pour « acheter » des cartes de bâtiments ou d’habitants à placer devant soi, qui rapportent des points de victoires, bonus et effets supplémentaires, en essayant de constituer un tableau complémentaire qui rapporte un max en fin de partie.
Comme souvent dans ce type de jeux, on est face à un « solitaire à plusieurs » un peu tristounet, et l’esthétique assez chargée du matériel m’a un peu fatigué les yeux.
Dans le même genre, on a largement préféré…
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OCEANS (2-6 joueurs) :
La « suite » d’EVOLUTION. Cette fois on fait évoluer nos bestioles sous l’eau, mais c’est le même principe: on fabrique des « espèces » de frankenstein aquatiques en accolant des cartes aux effets divers. Ce que j’apprécie dans ces jeux, c’est qu’ils forment un écosystème interactif et interdépendant: les espèces qu’on fabrique doivent se nourrir, soit du plancton local, soit sur leurs voisins (ses propres espèces, ou celles des adversaires…), en fonction de leurs caractéristiques (prédateur, parasite, etc.).
L’écosystème est fermé avec un nombre fini de « nourriture » que les espèces créées par les joueurs doivent se partager (sans trop abuser car une espèce qui bouffe trop voit sa taille réduite de moitié), on est donc limité dans son expansion et il faut faire gaffe à ne pas s’auto-cannibaliser (ou à l’inverse jouer l’autarcie en « fabriquant » par exemple une énorme baleine qui va aspirer le plancton commun, parasitée par deux espèces adjacentes, elles-mêmes picorées par nos prédateurs…).
Le tout est agrémenté de cartes « mutations » qui apportent des effets plus complexes ou plus puissants au prix de divers sacrifices.
Pour 3 (voire 4 joueurs, au delà c’est trop long) et dans le genre du « jeu de tableau à constituer », OCEANS me semble l’une des meilleures propositions, avec un sous-texte pédagogique discret mais bienvenu, et une esthétique « expressioniste » qui sort un peu de la « fantasy rondouillarde » omniprésente déplorée plus haut par Kanu.
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Hero Realms (1-4 joueurs)
Ce petit jeu de deckbuilding très basique (y compris dans son esthétique fantasy générique au possible) marche à fond auprès des jeunes ados de ma famille, notamment grâce à sa versatilité: la boîte de base coûte moins de 20 euros et permet de s’affronter jusqu’à 4 joueurs, et les extensions (au même tarif) transforment le jeu en une petite campagne coopérative dans laquelle les joueurs affrontent des boss et font monter en niveau leur personnage, gagnant de nouvelles cartes au passage, avec un minimum de personnalisation. C’est simple, pas cher et très efficace. Une bonne introduction aux jeux de deckbuilding pour les plus jeunes.
Comme ça ils seront fin prêts pour se lancer dans Aeon’s End Legacy, dont on vient de débuter la campagne et qui a l’air diablement retors et intéressant dans le genre du deckbuilding coopératif, avec de vrais choix et de vraies stratégies et spécialisations à mettre en place entre les joueurs (rappelons que la spécificité d’Aeon’s End est que contrairement aux autres jeux de deckbuilding, les joueurs ne mélangent pas leur défausse après épuisement de la pioche mais se contentent de la retourner, et peuvent donc théoriquement contrôler à 100% la sortie des cartes).
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Rumble in the dungeon (3-8 joueurs) :
un petit jeu d’apéro très random mais assez marrant. On place une douzaine de personnages dans un donjon préconstruit au petit bonheur. Chaque joueur se voit attribué secrètement 2 des personnages.
A son tour, un joueur peut déplacer d’une case n’importe lequel des 12 personnages, ou en éliminer un si au moins deux d’entre eux se trouvent sur la même case. Quand il ne reste plus qu’un survivant, on marque des points pour son personnage ayant survécu le plus longtemps.
C’est enfantin, hasardeux et d’un intérêt ludique assez limité, mais il y a un petit côté bluff amusant, ça fait la blague le temps d’un apéro ou au goûter, et c’est vraiment jouable de 7 à 77 ans pour le coup.
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KAMI (2-4 joueurs):
Adaptation moderne du Goita shogi, il s’agit d’un petit jeu de cartes pour 2x2 joueurs (bien aussi à 3, et jouable à 2 mais pas testé).
J’ai trouvé la règle peu claire pour ma part, mais en réalité le jeu est extrêmement simple (sautez le paragraphe suivant si les détails vous indiffèrent) :
il y a 32 cartes divisées en 7 types présentes chacune en 10, 4 ou 2 exemplaires, et valant entre 1 et 5 points. On les distribue toutes aux joueurs.
A son tour, un joueur « attaque » en jouant une carte face visible. Le suivant peut choisir de « défendre » en jouant la même, ou de passer s’il ne veut/peut pas. S’il « défend », c’est à son tour d’attaquer en jouant une carte face visible, etc.
Si aucun autre joueur n’a défendu contre une attaque, l’assaillant peut redémarrer en commençant par se débarrasser d’une carte face cachée avant d’attaquer.
Le premier joueur à vider sa main marque les points correspondant à sa dernière carte.
Seule subtilité: l’impératrice est un « atout » qui peut défendre contre les autres types de cartes (sauf le plus commun!), et si on parvient à terminer en jouant 2 cartes identiques (la carte « bonus » face cachée suite à une attaque défendue par personne, + sa dernière carte d’attaque), on double son score.
La première équipe à 15 points a gagné.
C’est un jeu de plis assez basique, mais le nombre d’infos et de règles très limité fait que même les enfants (8+ ans) peuvent le maîtriser. La main de départ et le hasard de la distribution égalisent un peu les chances et leur permettront de faire jeu égal avec les joueurs plus expérimentés.
Mais au final, le fait que les cartes soient en nombre différent et l’usage spécifique de l’atout font que le jeu garde un certain intérêt tactique, surtout en 2x2 quand il faut réfléchir à passer ou non sur une attaque de son coéquipier.
Bref, un bon petit jeu tout simple mais qui passe avec tous les publics. L’esthétique « L’ASIE ET SES MYSTERES » est un peu too much, mais au moins ça change du « cartoon rondouillard » sus-cité.
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