Le topic qui parle de cette culture underground de coders, graphistes et musiciens qui s’escriment a tirer la dernière goutte de jus de machines qui sont souvent des reliques désormais.
Je relance donc pile-poil avant la prochaine édition de la Revision.
En attendant les releases, je vais en profiter pour revenir sur une année charnière dans la courte mais palpitante(?) histoire de la demoscene, en l’occurrence il y a 30 ans.
1991 c’est l’année ou les demos sortent du petit cercle d’initiés pour toucher enfin un public plus large en devenant plus médiatiques avant, incidemment, de se répercuter au niveau de la production de jeux.
Mais commençons par un petit état des lieux avant ça. Le phénomène demo prend vraiment son envol sur le vénérable Commodore 64, dans la seconde partie des années 80, avant de rapidement migrer sur les deux frères ennemis de l’ère 16/32 bits: le ST et l’Amiga. Les premières démos ne sont en fait que des introductions plaquées par certains groupes pirates sur leurs cracks avant, de fil en aiguille, se transformer en programmes indépendants. Le ST et l’Amiga sont des plateformes où la création devient plus accessible et, de ce fait, devient plus structurée. On a affaire désormais à des groupes ou graphistes et musiciens se greffent aux programmeurs.
Rapidement les premiers groupes connus se lancent dans l’exploration technique de ces machines encore très jeunes. L’esthétique n’est donc pas vraiment une priorité, on cherche avant tout à démontrer la rapidité ou l’originalité de certaines routines, la partie graphique se résumant souvent à un logo, des fontes ou quelques sprites. La plupart des démos se résument d’ailleurs à un écran unique avec le plus souvent un seul effet. Du reste, ces demos se retrouveront souvent rassemblées dans ce qu’on appellera des Megademos, a savoir une collection d’écrans qui s’enchaînent à la suite ou bien sont sont sélectionnables via un menu (animé ou non).
Tout cela va changer fin 89 avec une production Finnoise dont le concept va complètement changer aussi bien la forme que le fond des démos:
Cette démo va introduire plusieurs concepts nouveaux: un enchaînement fluide et scripté des effets, des graphismes soignés et une musique qui va accompagner en continu ce qui se passe à l’écran, et, encore mieux, en souligner les temps forts. Sur le plan technique, le chargement en continu des données et l’utilisation massive de la 3D marque une nette rupture avec ce qui se faisait auparavant. On passe ainsi du principe de la megademo à celui de la trackmo (contraction de track, les pistes de la disquette, et démo).
Il y a donc un avant et un après, et l’année 1991 va confirmer cela avec un certain nombre de productions qui marqueront durablement la demoscene et lui permettra de toucher un public plus large, plus réceptif à l’esthétique qu’à la seule technique. On notera aussi que bon nombre de groupes profiteront de cette montée en puissance pour se tourner progressivement vers la création de jeux, la qualité croissante des démos permettant désormais de créer des vocations.
On poursuit avec le premier temps fort de 1991:
Cette démo va marquer le nadir de ce groupe Suédois, qui passe a la trackmo. On notera ici la qualité graphique de l’ensemble avec en particulier les logos et images créées par Uno. Ce dernier va avoir une grande influence sur la plupart des graphistes de l’époque, avec le soin apporté aux palettes, à l’antialiasing et au tramage. La musique n’est pas en reste, avec une composition qui marquera les esprits.
Mais l’année 1991 ne se résume pas à cette seule démo.
The Silents est ce qu’on peut appeler un groupe légendaire. Ses membres (répartis dans toute l’Europe)ont cherché très tôt à explorer un certain côté artistique. La Global Trash va encore plus loin que la Enigma en proposant une mise en scène admirablement servie musicalement par Jesper Kyd (qu’on ne présente plus aujourd’hui). La musique accompagne chaque effet, du début à la fin, sans se répéter. On a aussi une introduction et une fin, dans l’esprit de ce que pourrait être un véritable clip vidéo. Cette démarche va trouver son aboutissement avec cette démo sortie fin 91 et réalisée par les mêmes auteurs en tandem avec un autre groupe Danois, Crionics:
Deux disquettes, des effets très originaux et très bien mis en scène: on passe qualitativement à un autre stade. Du reste, ses créateurs ont suivi une méthode très professionnelle ici: storyboard, location d’un studio de développement (un appart en fait) et travail en continu et en équipe sur plusieurs mois. Cette nouvelle façon de faire va d’ailleurs les inciter à se lancer dans la réalisation de jeux sur megadrive (Redzone, Subterrania) après avoir été approchés par Sega et sur lesquels ils mettront à profit leur expertise de demomakers. La section Suédoise de Silents va d’ailleurs se sentir elle aussi pousser des ailes et suivre le même chemin que leurs confrères Danois en se lançant sur un flipper, Pinball Dreams et en créant leur label, Digital Illusions (connu aujourd’hui sous le nom de Dice).
Il y a eu bien sur moults autres production cette année la (que ce soit sur ST, Amiga, C64 ou même CPC), mais celle que je viens de citer sont parmi les plus marquantes, ne serait que pour le nouveau paradigme qu’elles introduisent: la démo devient une forme d’esthétique moins marginale et à part entière et désormais une passerelle vers le monde du jeu vidéo, que l’on soit programmeur, graphiste ou musicien.
On a eu bien sur des exemples auparavant, comme Thalion Software ou Team 17 mais désormais les portes sont grandes ouvertes auprès des éditeurs alors même que le marché du jeu en Europe devient plus professionnel et demandeur de talents, dans le sillage des nouvelles consoles. Les médias ne sont pas en reste et les démos trouvent désormais leur place dans la presse spécialisée (St Magazine, Commodore Revue) mais aussi généraliste (Tilt ¹²³, Micro News ¹²) et même à la télé (Micro Kids).