Cher journal,
Je dois avoir moins de 100h de jeu cumulées sur toute l’année et je me rends compte que mon compteur de lecture de livres imprimés sur du papier sans dessins dedans ne doit pas être beaucoup plus élevé. Je t’offre néanmoins un petit aperçu non exhaustif de mon étagère 2021, avec du jeu vidéo et du cinéma.
Ultimate History of Video Games volume 2
est la suite directe du volume 1, référence que le temps et les (re)découvertes progressives ont pas mal égratigné, à tel point qu’on a tendance à en déconseiller la lecture de nos jours. Le volume 2 a néanmoins pour avantage d’être l’un des premiers ouvrages généralistes à aborder les années 2000 au sens large, de la sortie de la Dreamcast au milieu de vie des PS3, 360, Wii et autres DS et PSP. Il n’évite pas les erreurs grossières et les raccourcis, voire des choix étranges (John Romero interrogé sur la NGage ? Logique) et ne se posera clairement pas en référence, mais il offre un petit rafraichissement bienvenu sur une période à la fois proche et déjà un peu lointaine.
Sid Meier’s Memoir
est un livre au titre explicite, idéal pour se plonger dans le milieu du JV sur ordinateur des années 70 et l’industrialisation progressive du secteur. On y retrouve pêle-mêle un bordel juridique autour de la licence Civilization, les débuts de Tom Clancy dans l’industrie du JV, la censure en Allemagne pour tout ce qui touche à la militarisation, Robin Williams, le mythe de Nuclear Gandhi, Microprose qui ne croyait qu’en ses simulations d’avions, poussant Meier à passer indépendant au début du développement de Civilization, tout en acceptant d’accoler son nom au titre de ses jeux (Pirates!, Railroad Tycoon et Civilization) puis de ceux des autres (Colonization, Civ 2) afin de rassurer les dirigeants et de s’assurer quelques ventes auprès des fans des précédents jeux de Meier (Gunship, F-15 Strike Eagle, etc.).
Not all fairy tales have happy endings
est la biographie de Ken Williams, sortie quelques mois avant qu’il annonce son retour au développement de jeux vidéo (après une pause de près de 40 ans en ce qui le concerne). Quand on lit son livre, on comprend pourquoi Roberta Williams n’a pas cherché à rester dans le milieu après le fiasco du rachat de Sierra. Indépendamment même des conditions dans lesquelles s’est déroulée cette passation de pouvoir pour le moins troublée, la développeuse n’était pas vraiment respectée au sein de la boîte si on en croit son mari. J’imagine que le combo femme + autrice-réalisatrice non salariée + boîte dirigée par son mari qui se chargeait de faire respecter ses décisions (+ industrie du jeu vidéo) a dû en titiller plus d’un.
Le livre est écrit du point de vue de Ken, lequel a rapidement abandonné la partie développement pour se consacrer à la gestion de la boîte sous tous ses aspects. Je n’aurais pas dit non à ce qu’il creuse un peu moins la partie management et davantage d’autres points, notamment l’accord avec Game Arts qui est expédié avec très peu de détails.
Ainsi parlait Iwata San
est un livre qui parle lui aussi de management, réalisé par des proches du monsieur (qui était réticent à l’idée qu’on écrive un livre sur lui) et sorti il y a quelques mois dans un paquet de langues différentes.
Sorti des 2 interviews accordées par Miyamoto et Itoi pour l’occasion, le livre est un recueil de citations tirées de 2 sources : les Iwata asks et le blog d’Itoi, auquel contribuait parfois Iwata. Il ne s’agit pas vraiment d’une bio mais d’une sorte de leçon de gestion d’entreprise. C’est pas forcément inintéressant, mais sorties de leurs contexte et mises bout à bout, ces citations donnent parfois le sentiment de lire un post LinkedIn, écrit certes par une personne qui semblait plus bienveillante que la moyenne.
L’essentiel des citations étant tirées des Iwata Asks (dont certains ne sont disponibles qu’en japonais cela dit), le manque de nouveautés se fait lui aussi sentir pour qui a déjà parcouru le site de Nintendo en VF et en VO (où l’on trouve des interviews restées non traduites à ce jour).
Press Reset :
est le second livre de Jason Schreier s’attarde moins sur le développement de ces gros jeux dont on a tous entendu parlé que sur les développeurs - souvent méconnus - qui sortent rincés de ces développements peu compatibles avec le concept de longue carrière dans l’industrie.
Si le récit de ces parcours reste plaisant à lire, Schreier commet l’impair malheureusement classique d’adopter une vision très américano-centrée : son livre, censé présenter l’industrie dans son ensemble, se concentre sur des boites situées aux US ou détenues par des boites US, pays où le droit du travail n’est pas exactement le plus avantageux pour les salariés (sans parler du problème récurrent de l’assurance santé à chaque perte d’emploi). L’industrie n’est pas nécessairement beaucoup plus rose ailleurs, mais les biais n’y sont pas tout à fait les mêmes (sans quoi la Sonic Team aurait déjà été dissoute 50 fois si Sega avait été une boite US), mais il ne nous donne pas l’occasion de nous faire notre propre avis sur le sujet.
Atari Inc. - Business is fun
est le 1er volume d’une trilogie dont on attend toujours la suite et (dont l’un des auteurs est décédé l’an dernier). Il se poserait en ouvrage ultime sur l’histoire de la société jusqu’à sa scission en 1984 s’il n’y avait pas un gros hic : y a pas les sources.
Certes, on les devine parfois, notamment via la foultitude de scans de documents internes, de photos d’époque et d’interviews (accordées à qui et quand ? on sait pas). Pourtant, le livre tord le cou à bon nombre de mythes
(bien souvent élaborés par un Nolan Bushnell désireux de construire sa légende) et on a envie de le croire sur parole, mais ça fait tâche sur la street cred.
Autre point qui peut gêner : le livre est gros et très, très détaillé. Je comprends la volonté de compiler le maximum d’informations en un seul endroit, mais le bouquin a parfois tendance à faire passer Balzac pour un mec concis.
Un peu de cinéma pour changer :
High Concept
High Concept raconte la vie de Don Simpson, producteur associé à Jerry Bruckheimer jusqu’à son décès prématuré en 1996 et qui a posé certaines des bases du cinéma hollywoodien des années 80-90 en embrassant la culture MTV et en propulsant des réalisateurs tels que Tony Scott et Michael Bay sur le devant de la scène.
Le « high concept » du titre ne doit pas sa paternité à Simpson, mais ce dernier en a fait son crédo - l’idée étant de vendre un film en une phrase, laquelle résume à la fois l’histoire et le concept. Hélas, si le livre parle bien de cinéma, son auteur semble ne jamais rechigner à verser dans la presse de caniveau, recette déjà employée par Peter Biskin dans son ouvrage consacré à ce qu’il a appelé le nouvel Hollywood. On doit se farcir des passages interminables sur la drogue et la prostitution durant lesquels le biographe cherche à caser le maximum de noms, quitte à n’avoir qu’un rapport parfois très lointain avec son sujet d’origine. A sa décharge, Simpson illustre effectivement très bien tous les excès voire les dérives du Hollywood de cette époque. Le livre aurait pu s’appeler sexe, drogue et Hollywood, ça aurait indiqué avec précision au potentiel acheteur la part occupée par chaque thème de l’œuvre.
John Belushi - folle et tragique vie d’un blues brother
Je n’avais pas prévu de rester sur une thématique « personnalité célèbre qui a eu la main lourde sur les substances illicites », mais j’avais la bio de John Belushi sur une autre étagère alors…
Principalement connu comme l’un des 2 Blues Brothers en dehors des US, voire comme l’un des acteurs de l’un des films les moins appréciés de Spielberg, Belushi a un temps été la star du SNL après le départ de Chevy Chase, puis une star tout court durant la brève période qui a suivi son propre départ de l’émission.
On y croise évidemment un certain nombre de ses anciens collègues du SNL (à commencer par les 3 têtes d’affiche masculines de SOS Fantômes), ainsi que d’autres grands noms de l’époque, dont une poignée déjà entre-aperçue dans le livre sur Simpson, mais aussi l’autre duo de producteurs gagnants de l’époque - Eisner-Katzenberg - peu de temps avant leur départ pour Disney (je vous recommande le livre Le royaume désenchanté si vous vous intéressez à leur carrière).
La construction du livre, essentiellement chronologique, peut sembler putassière à l’approche de la date fatidique, avec l’indication de la date jour après jour, mais je dois bien avouer avoir été pris dans l’engrenage, quand bien même il m’arrivait de penser qu’en prenant un peu de recul, j’aurais sûrement trouvé l’exercice un peu vain par moment.
Le livre m’a globalement davantage emballé que celui sur Simpson, quand bien même la drogue y occupe une place quasi égale. L’absence de digressions et le parfum de caniveau s’y font beaucoup moins sentir.
Friedkin Connection
Autre bio, écrite de la plume de son sujet - qui a eu la bonne idée de rester en vie pour en parler lui-même -, celle de William Friedkin, l’une des figures de proue du cinéma des années 70 et de l’ambiance grisâtre à laquelle on les associe bien souvent.
Friedkin a la particularité d’avoir émergé en même temps que la nouvelle vague et d’avoir apporté son propre style tout en étant issu d’une autre formation que les Coppola (avec qui il fut un temps associé), Scorsese, De Palma, Lucas et autre Spielberg. Plus âgé que les susnommés - il est né en 1935 -, le réal de L’exorciste avait déjà une longue carrière dans la TV puis dans le documentaire et le cinéma avant de se faire connaître du grand public avec French Connection et sa scène de course poursuite tournée à l’arrache au mépris de la loi et des règles élémentaires de sécurité (2 constantes chez ce monsieur qui faisait régulièrement appel à la mafia sur ses tournages). Le fait que l’essentiel de ses œuvres connues aient été réalisées en l’espace d’une quinzaine d’années tient au fait que, contrairement à ses confrères, le succès lui a très vite échappé après L’exorciste. Des films comme Le Convoi de la peur, Police fédérale Los Angeles où, dans une moindre mesure, La Chasse n’ont pas marché et n’ont acquis leur statut de films cultes qu’avec le temps.
Friedkin s’attarde longuement sur la production de certains films, en particulier celle de L’exorciste, mais l’histoire qu’il raconte est tellement gratinée (scénario inspiré de faits « réels », visite de courtoisie à une secte d’adorateurs du Sheitan en Irak sur invitation de cette dernière, etc.), qu’on lui pardonne largement.
Sa carrière est loin de se limiter au cinéma puisqu’il a aussi œuvré à l’opéra, en partie faute de pouvoir monter des films.
Naturellement, comme avec toute autobiographie, on se demande quelle part occupe la fiction dans ce qui est raconté, mais je n’ai pas boudé mon plaisir une seule seconde.
En un clin d’œil
Autre livre de cinéaste, sur un sujet de niche mais pas moins accessible pour autant, En un clin d’œil de Walter Murch, oeuvre sur le montage écrite par l’un de ses plus célèbres représentants, lequel a oeuvré avec des artistes tels que Coppola et Lucas (encore eux) et qui a assisté aux évolutions technologiques du métier, de la Moviola à l’ordinateur en passant par les stations de travail européennes des années 60.
C’est assez court, ça se lit très bien et et le simple énoncé du sujet doit vous suffire à déterminer si vous avez envie de le lire ou pas.