[Hannibal Lecture] Le topic des bibliovores sanguinaires et des livrophages en série

Je sais que Capcom a présenté des originaux durant l’expo Street Fighter qui s’est tenue à Fukuoka l’an dernier, détail qui m’avait également surpris vu que la norme est plutôt aux reproductions au Japon. Les coups de Tipp-Ex sont clairement visibles sur certains artworks.

Certains des originaux de Capcom semblent un poil endommagés, notamment certaines des illustrations de flyer réalisées par Akiman (qu’il garde ou gardait chez lui). Le fait qu’une partie d’entre elles ait été réalisée en dehors des heures de travail (l’illustration principale de SFII a été réalisée chez ses parents pendant les vacances de Noël par exemple) ne doit pas aider Capcom à tout conserver au même endroit.

Vu qu’on parle de reproduction, j’avais lu ce témoignage de Marc Ericksen, illustrateur prolifique des années 80-90 et qui a notamment bossé avec Capcom, sur les techniques utilisées au début des années 90 pour scanner des illustrations.

Citation
The technology of the day required the clients’ scanners to very carefully remove the upper layer of white paper surface, peeling it away from the illustration board base, incredibly NEVER ONCE damaging my art.This was necessary due to the scanners of the day used large drums which spun the art. Then creating a 4 color separation in 4 layer dot pattern** using the white of the base paper and adding transparent inks.

Inutile de préciser que tous les artistes n’ont pas retrouvé leurs originaux intacts après ce processus (voire pas retrouvé du tout).
L’autre technique, potentiellement moins fidèle, consistait à prendre une photo de l’illustration en question, technique qui était utilisée quoi qu’il arrive pour les maquettes et autres couvertures en pâte à modeler.

Cher journal,
Je dois avoir moins de 100h de jeu cumulées sur toute l’année et je me rends compte que mon compteur de lecture de livres imprimés sur du papier sans dessins dedans ne doit pas être beaucoup plus élevé. Je t’offre néanmoins un petit aperçu non exhaustif de mon étagère 2021, avec du jeu vidéo et du cinéma.


Ultimate History of Video Games volume 2
est la suite directe du volume 1, référence que le temps et les (re)découvertes progressives ont pas mal égratigné, à tel point qu’on a tendance à en déconseiller la lecture de nos jours. Le volume 2 a néanmoins pour avantage d’être l’un des premiers ouvrages généralistes à aborder les années 2000 au sens large, de la sortie de la Dreamcast au milieu de vie des PS3, 360, Wii et autres DS et PSP. Il n’évite pas les erreurs grossières et les raccourcis, voire des choix étranges (John Romero interrogé sur la NGage ? Logique) et ne se posera clairement pas en référence, mais il offre un petit rafraichissement bienvenu sur une période à la fois proche et déjà un peu lointaine.


Sid Meier’s Memoir
est un livre au titre explicite, idéal pour se plonger dans le milieu du JV sur ordinateur des années 70 et l’industrialisation progressive du secteur. On y retrouve pêle-mêle un bordel juridique autour de la licence Civilization, les débuts de Tom Clancy dans l’industrie du JV, la censure en Allemagne pour tout ce qui touche à la militarisation, Robin Williams, le mythe de Nuclear Gandhi, Microprose qui ne croyait qu’en ses simulations d’avions, poussant Meier à passer indépendant au début du développement de Civilization, tout en acceptant d’accoler son nom au titre de ses jeux (Pirates!, Railroad Tycoon et Civilization) puis de ceux des autres (Colonization, Civ 2) afin de rassurer les dirigeants et de s’assurer quelques ventes auprès des fans des précédents jeux de Meier (Gunship, F-15 Strike Eagle, etc.).


Not all fairy tales have happy endings
est la biographie de Ken Williams, sortie quelques mois avant qu’il annonce son retour au développement de jeux vidéo (après une pause de près de 40 ans en ce qui le concerne). Quand on lit son livre, on comprend pourquoi Roberta Williams n’a pas cherché à rester dans le milieu après le fiasco du rachat de Sierra. Indépendamment même des conditions dans lesquelles s’est déroulée cette passation de pouvoir pour le moins troublée, la développeuse n’était pas vraiment respectée au sein de la boîte si on en croit son mari. J’imagine que le combo femme + autrice-réalisatrice non salariée + boîte dirigée par son mari qui se chargeait de faire respecter ses décisions (+ industrie du jeu vidéo) a dû en titiller plus d’un.
Le livre est écrit du point de vue de Ken, lequel a rapidement abandonné la partie développement pour se consacrer à la gestion de la boîte sous tous ses aspects. Je n’aurais pas dit non à ce qu’il creuse un peu moins la partie management et davantage d’autres points, notamment l’accord avec Game Arts qui est expédié avec très peu de détails.


Ainsi parlait Iwata San
est un livre qui parle lui aussi de management, réalisé par des proches du monsieur (qui était réticent à l’idée qu’on écrive un livre sur lui) et sorti il y a quelques mois dans un paquet de langues différentes.
Sorti des 2 interviews accordées par Miyamoto et Itoi pour l’occasion, le livre est un recueil de citations tirées de 2 sources : les Iwata asks et le blog d’Itoi, auquel contribuait parfois Iwata. Il ne s’agit pas vraiment d’une bio mais d’une sorte de leçon de gestion d’entreprise. C’est pas forcément inintéressant, mais sorties de leurs contexte et mises bout à bout, ces citations donnent parfois le sentiment de lire un post LinkedIn, écrit certes par une personne qui semblait plus bienveillante que la moyenne.
L’essentiel des citations étant tirées des Iwata Asks (dont certains ne sont disponibles qu’en japonais cela dit), le manque de nouveautés se fait lui aussi sentir pour qui a déjà parcouru le site de Nintendo en VF et en VO (où l’on trouve des interviews restées non traduites à ce jour).


Press Reset :
est le second livre de Jason Schreier s’attarde moins sur le développement de ces gros jeux dont on a tous entendu parlé que sur les développeurs - souvent méconnus - qui sortent rincés de ces développements peu compatibles avec le concept de longue carrière dans l’industrie.
Si le récit de ces parcours reste plaisant à lire, Schreier commet l’impair malheureusement classique d’adopter une vision très américano-centrée : son livre, censé présenter l’industrie dans son ensemble, se concentre sur des boites situées aux US ou détenues par des boites US, pays où le droit du travail n’est pas exactement le plus avantageux pour les salariés (sans parler du problème récurrent de l’assurance santé à chaque perte d’emploi). L’industrie n’est pas nécessairement beaucoup plus rose ailleurs, mais les biais n’y sont pas tout à fait les mêmes (sans quoi la Sonic Team aurait déjà été dissoute 50 fois si Sega avait été une boite US), mais il ne nous donne pas l’occasion de nous faire notre propre avis sur le sujet.


Atari Inc. - Business is fun
est le 1er volume d’une trilogie dont on attend toujours la suite et (dont l’un des auteurs est décédé l’an dernier). Il se poserait en ouvrage ultime sur l’histoire de la société jusqu’à sa scission en 1984 s’il n’y avait pas un gros hic : y a pas les sources.
Certes, on les devine parfois, notamment via la foultitude de scans de documents internes, de photos d’époque et d’interviews (accordées à qui et quand ? on sait pas). Pourtant, le livre tord le cou à bon nombre de mythes
(bien souvent élaborés par un Nolan Bushnell désireux de construire sa légende) et on a envie de le croire sur parole, mais ça fait tâche sur la street cred.
Autre point qui peut gêner : le livre est gros et très, très détaillé. Je comprends la volonté de compiler le maximum d’informations en un seul endroit, mais le bouquin a parfois tendance à faire passer Balzac pour un mec concis.



Un peu de cinéma pour changer :

High Concept
High Concept raconte la vie de Don Simpson, producteur associé à Jerry Bruckheimer jusqu’à son décès prématuré en 1996 et qui a posé certaines des bases du cinéma hollywoodien des années 80-90 en embrassant la culture MTV et en propulsant des réalisateurs tels que Tony Scott et Michael Bay sur le devant de la scène.
Le « high concept » du titre ne doit pas sa paternité à Simpson, mais ce dernier en a fait son crédo - l’idée étant de vendre un film en une phrase, laquelle résume à la fois l’histoire et le concept. Hélas, si le livre parle bien de cinéma, son auteur semble ne jamais rechigner à verser dans la presse de caniveau, recette déjà employée par Peter Biskin dans son ouvrage consacré à ce qu’il a appelé le nouvel Hollywood. On doit se farcir des passages interminables sur la drogue et la prostitution durant lesquels le biographe cherche à caser le maximum de noms, quitte à n’avoir qu’un rapport parfois très lointain avec son sujet d’origine. A sa décharge, Simpson illustre effectivement très bien tous les excès voire les dérives du Hollywood de cette époque. Le livre aurait pu s’appeler sexe, drogue et Hollywood, ça aurait indiqué avec précision au potentiel acheteur la part occupée par chaque thème de l’œuvre.


John Belushi - folle et tragique vie d’un blues brother
Je n’avais pas prévu de rester sur une thématique « personnalité célèbre qui a eu la main lourde sur les substances illicites », mais j’avais la bio de John Belushi sur une autre étagère alors…
Principalement connu comme l’un des 2 Blues Brothers en dehors des US, voire comme l’un des acteurs de l’un des films les moins appréciés de Spielberg, Belushi a un temps été la star du SNL après le départ de Chevy Chase, puis une star tout court durant la brève période qui a suivi son propre départ de l’émission.
On y croise évidemment un certain nombre de ses anciens collègues du SNL (à commencer par les 3 têtes d’affiche masculines de SOS Fantômes), ainsi que d’autres grands noms de l’époque, dont une poignée déjà entre-aperçue dans le livre sur Simpson, mais aussi l’autre duo de producteurs gagnants de l’époque - Eisner-Katzenberg - peu de temps avant leur départ pour Disney (je vous recommande le livre Le royaume désenchanté si vous vous intéressez à leur carrière).
La construction du livre, essentiellement chronologique, peut sembler putassière à l’approche de la date fatidique, avec l’indication de la date jour après jour, mais je dois bien avouer avoir été pris dans l’engrenage, quand bien même il m’arrivait de penser qu’en prenant un peu de recul, j’aurais sûrement trouvé l’exercice un peu vain par moment.
Le livre m’a globalement davantage emballé que celui sur Simpson, quand bien même la drogue y occupe une place quasi égale. L’absence de digressions et le parfum de caniveau s’y font beaucoup moins sentir.


Friedkin Connection
Autre bio, écrite de la plume de son sujet - qui a eu la bonne idée de rester en vie pour en parler lui-même -, celle de William Friedkin, l’une des figures de proue du cinéma des années 70 et de l’ambiance grisâtre à laquelle on les associe bien souvent.
Friedkin a la particularité d’avoir émergé en même temps que la nouvelle vague et d’avoir apporté son propre style tout en étant issu d’une autre formation que les Coppola (avec qui il fut un temps associé), Scorsese, De Palma, Lucas et autre Spielberg. Plus âgé que les susnommés - il est né en 1935 -, le réal de L’exorciste avait déjà une longue carrière dans la TV puis dans le documentaire et le cinéma avant de se faire connaître du grand public avec French Connection et sa scène de course poursuite tournée à l’arrache au mépris de la loi et des règles élémentaires de sécurité (2 constantes chez ce monsieur qui faisait régulièrement appel à la mafia sur ses tournages). Le fait que l’essentiel de ses œuvres connues aient été réalisées en l’espace d’une quinzaine d’années tient au fait que, contrairement à ses confrères, le succès lui a très vite échappé après L’exorciste. Des films comme Le Convoi de la peur, Police fédérale Los Angeles où, dans une moindre mesure, La Chasse n’ont pas marché et n’ont acquis leur statut de films cultes qu’avec le temps.
Friedkin s’attarde longuement sur la production de certains films, en particulier celle de L’exorciste, mais l’histoire qu’il raconte est tellement gratinée (scénario inspiré de faits « réels », visite de courtoisie à une secte d’adorateurs du Sheitan en Irak sur invitation de cette dernière, etc.), qu’on lui pardonne largement.
Sa carrière est loin de se limiter au cinéma puisqu’il a aussi œuvré à l’opéra, en partie faute de pouvoir monter des films.
Naturellement, comme avec toute autobiographie, on se demande quelle part occupe la fiction dans ce qui est raconté, mais je n’ai pas boudé mon plaisir une seule seconde.


En un clin d’œil
Autre livre de cinéaste, sur un sujet de niche mais pas moins accessible pour autant, En un clin d’œil de Walter Murch, oeuvre sur le montage écrite par l’un de ses plus célèbres représentants, lequel a oeuvré avec des artistes tels que Coppola et Lucas (encore eux) et qui a assisté aux évolutions technologiques du métier, de la Moviola à l’ordinateur en passant par les stations de travail européennes des années 60.
C’est assez court, ça se lit très bien et et le simple énoncé du sujet doit vous suffire à déterminer si vous avez envie de le lire ou pas.

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Bonne année Boulette !

J’ai récemment lu Soleil Vert de Harry Harrison. Le bouquin n’est pas désagréable mais on est bien loin de l’adaptation cinématographique pondue par Richard Fleischer. Malgré l’univers proposé, ce qui est raconté ressemble juste au quotidien morne d’un flic qui n’évolue pas franchement au long du récit, malgré une rencontre importante. Le fameux Soylent n’est que très peu évoqué, et les implications quant aux conséquences potentielles du meurtre sur lequel enquête le flic font pschitt. D’ailleurs j’ai eu assez peu d’empathie pour le policier en question, en particulier sur la fin du bouquin. Le film est bien meilleur, exploitant beaucoup plus les principaux éléments de son univers.

Quel à propos !

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Oui, j’avais oublié de le signaler, j’ai d’ailleurs souhaité la bonne année sur Twitter avec ce film. ^^

Par contre le bouquin se déroule en 1999.

Merci beaucoup pour cette liste conséquente et internationale. Je serais d’ailleurs très curieux de lire en Anglais l’histoire du développement informatique suédois (Svensk videospelsutveckling : från 50-tal till 90-tal), qui part des expérimentations militaires pour aboutir à la demoscene viking.

D’un point de vue critique, je me demandais si vous connaissiez des moyens de se renseigner sur la pertinence des (nombreux) ouvrages consacrés au JV. J’adore les sporadiques papiers Lecture Seule chez GK mais ça ne traite évidemment que d’une infime partie des sorties.

Canard PC ou JV Le Mag pondent parfois quelques courts articles mais mes sources d’infos viennent principalement de forums, de reviews Amazon ou de Sens Critique (qui ne semble pas offrir de métadonnées spécifiques « ouvrage sur le JV », propices à la découverte — il faut connaitre le titre du bouquin pour se renseigner et toutes les listes semblent hélas individuelles, aucun palmarès unifié).

Ce soir, je voulais par exemple en savoir plus sur « A la découverte des consoles insolites » récemment paru chez Third et je fais choux blanc. L’auteur a l’air très fan de l’Atari Cosmos et de la techno holographique donc je me laisserai sans doute tenter dans un moment de faiblesse…

…mais ces essais sur le JV sont en général des achats littéraires complètement pifés, à mille lieues de l’armada d’avis trouvables en deux-deux sur les autres bouquins au sens large (romans, essais, BD, etc.). En espérant que la presse spécialisée y consacre plus de rubriques dans le futur.

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Il me semble qu’il y a une différence fondamentale entre les œuvres de fiction et les livres d’Histoire, un critère qui est loin d’être pris en compte par la totalité du public, à savoir si les faits présentés et analysés sont avérés ou non. Nombreux sont ceux qui ne jugent une œuvre, de fiction ou d’historien, qu’en fonction de l’intérêt qu’ils portent à l’histoire qui y est racontée et de la façon dont elle est racontée. J’ai encore en mémoire un commentaire posté sous une critique que j’avais écrite au sujet d’un livre - L’histoire de Sonic - et dans laquelle je relevais des dizaines d’erreurs et d’approximations (le pauvre hérisson n’a jamais été bien loti en matière de livres d’Histoire). Mon interlocuteur d’un soir m’avait alors répondu « Ok mais moi j’ai bien aimé quand même » et lui a collé un 8/10 sur Sens critique (j’avais mis 4 et je lui collerai probablement la même note aujourd’hui). Un livre comme Console Wars a reçu un accueil positif auprès du grand public alors qu’aucun historien sérieux ne s’appuierait dessus sans de grosses pincettes.

Concernant le faible nombre d’adresses proposant des critiques de qualité, le problème vient peut-être du secteur et de certaines de ses plumes. Là où les auteurs de littérature et les cinéastes sont coutumiers de la critique avant même d’être passés pro, certains auteurs de livre de JV semblent découvrir que publier une œuvre la rend ouverte à la critique du public. Près de la moitié des critiques que j’avais postées sur Sens critique m’ont valu un commentaire de l’auteur concerné, parfois très agacé (ce qui m’a probablement fermé 2-3 portes au passage), même si j’ai aussi parfois eu des retours plus positifs (l’un de ces auteurs m’a d’ailleurs demandé de lui renvoyer une ancienne critique en vue d’une réédition d’un de ses ouvrages).
Après, j’ai bien conscience d’être sévère et, si je tombe parfois dans la facilité en cédant au bon mot, j’essaie de ne pas être cassant quand je poste en public (on va dire que Boulette relève de la sphère semi privée).

Pour ce qui est des sujets qui, pour nous autres francophones essentiellement au fait de ce qui s’est passé au Japon, aux US voire en France, peuvent paraître exotiques, j’ai tendance à me fier à une poignée de contacts dont j’estime le travail. Par chance, une bonne partie d’entre eux fréquente le Discord de Gaming Alexandria, notamment Ethan, l’auteur de la liste sus-mentionnée et contributeur du site.

Merci pour ton retour d’expérience et le renvoi vers Gaming Alexandria. J’ai du mal à déterminer si le manque de corpus critique (en Francophonie, du moins) découle effectivement de le susceptibilité des auteurs ou d’une certaine « endogamie » dans la publication/presse (où nombre de ces ouvrages sont écrits par des collègues journalistes, d’où une réserve à louer ou vilipender) ou si le marché du livre JV est encore jugé trop niche pour intéresser les lecteurs ou si le problème relève en fin de compte de la tâche considérable de la critique de ces ouvrages (nécessitant des connaissances ultrapointues et un temps monstrueux difficile à trouver quand on s’enquille déjà la critique de jeux qui durent des dizaines d’heures).

Tiens en parlant de ça, SVT (Suède) et DRTV (Danemark) ont produit des petits documentaires qui brossent l’historique du jeu vidéo dans leurs pays respectifs. Et, évidemment, ça parle de la demoscene d’où a germé toute leur industrie. Bon évidemment, faut comprendre le suédois ou le danois mais il reste les images :slight_smile:

Tout ça pour dire aussi que le bon bouquin sur la demoscene reste à faire :thinking:

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« Quelle chouette ouverture ! » - moi, hier soir, dans mon pieu.

(C’est tiré de The Netanyahus de Joshua Cohen)

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C’est effectivement une superbe page. Le bouquin est une bio romancée de la famille du premier ministre israélien, ou rien à voir ?

C’est le récit (romancé) d’un épisode (véridique) de la vie du père de Benjamin Netanyahu.

J’y viens sur le tard grâce à un ami qui doit le faire venir pour une lecture, mais Joshua Cohen bénéficie d’un enthousiasme assez délirant aux Etats-Unis et il est de toute évidence incroyablement doué. Je suis curieux d’un de ses romans précédents, dont le point de départ est assez intrigant (soit c’est super soit c’est la cata).

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Merci pour la découverte, je le rajoute dans la liste de lecture déjà longue comme le bras.

Merci Tristan !

Quelques lectures de la deuxième moitié de 2021 sur lesquelles j’avais commencé à écrire, pensant faire un récap’, mais ce brouillon traîne depuis bien trop longtemps pour ne pas me rendre à l’évidence : autant le publier tel quel, je ne le finirai jamais en janvier.

Les origines tragiques de l’érudition, une histoire la note en bas de page, Anthony Grafton
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Est-ce que je l’ai acheté juste pour le génie du titre et du thème ? Peut-être. Ma micro-déception est que, passé l’intro assez savoureuse, le livre n’ait pas l’érudition gourmande et rieuse d’un Umberto Eco. En fait, après quelques petites tendres gifles de bon aloi à certaines pratiques académiques, cet essai historique redevient assez rapidement premier degré, pour raconter, en sens antéchronologique, l’apparition de la note de bas de page. En toile de fond, on n’y parle pas tant imprimerie et mise en page qu’historiographie. La question d’Anthony Grafton, assez vertigineuse au demeurant, c’est : à partir de quand les historiens commencent-ils à estimer que l’important n’est pas de se faire les passeurs d’événements romanesques mais de documenter au plus près des sources - jusqu’à développer tout un appareil critique de paratexte pour sourcer, prouver, bétonner, et notamment la note érudite ? Il attaque ainsi par Leopold von Ranke, souvent présenté comme le fondateur de l’histoire moderne, académique, en expliquant du reste comment la révolution française et l’ouverture progressive des archives nationales ont permis de bouleverser la pratique des historiens, avant de remonter dans le temps. C’est donc un voyage érudit, qui au choix vous égarera par la précision de certains débats d’époque qu’un non-moderniste peut difficilement soupçonner, ou vous émerveillera par sa faculté à faire revivre le contexte intellectuel et les empoignades cérébrales des 17e et 18e siècle. Il faut quand même avoir une certaine fascination pour l’histoire et son écriture pour y éprouver un plaisir total, mais would recommand quand même.

Le faucheur, Terry Pratchett

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J’ai un peu honte, je n’avais jamais lu de Terry Pratchett avant. On m’avait dit qu’il s’agissait d’un des meilleurs, et je dois reconnaître que je me suis bien gondolé. Alors, certes, c’est inégal, il y a deux récits en un, et celui des mages qui ne savent plus trop quoi foutre de leur doyen qui a échoué à mourir et ne sait plus trop quoi faire de sa vie en rab tire un peu trop souvent à la ligne à mon goût. Mais toute la partie sur la Mort qui apprend qu’elle aussi va elle aussi clamser et oh la la mais que va-t-elle faire de ses derniers instants et si elle apprenait à vivre elle qui n’est pas franchement une riante personne est d’un irrésistible comique de situation - bien appuyé à la fois par ses répliques délicieusement glaçantes et leur mise en scène typographique. Et puis, c’est un bouquin s’amuse à faire des nœuds d’humour absurde avec la métaphysique, et j’adore ça. Toute la manière de penser le surplus du monde privé de mort qui s’exprime à travers des caddies fous qui s’en vont se réunir en centre commerciaux, c’est terriblement années 1980 mais la parodie est quand même bien savoureuse (et plus originale que les énièmes reprises de la critique de la société de consommation sous forme de zombies lâchés dans des malls).

11-Septembre: une histoire orale, Garrett Graff
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Quel coup de poing. De très loin pour moi l’expérience de lecture la plus forte de 2021, et bien sûr que le thème s’y prête, mais la manière qu’a Garrett Graff de raconter cette journée historique n’a pas d’équivalent : il s’agit d’un récit horodaté, polyphonique des événements, de l’intérieur, par ceux qui les ont vécus aux premières loges, des contrôleurs aériens qui ont vu la tragédie prendre peu à peu forme sous leurs yeux à l’entourage de George Bush en passant par les troupes de secours, et, surtout, les rescapés et familles de victimes.

Je retiens trois choses de ce bouquin.

Déjà, et je vais passer très vite sur ce point qui me rend un peu fou, que si n’importe quel truther s’était donné la peine de faire ce travail-là, rigoureux, éclairant, humain, digne, au lieu d’analyser des poils de cul de pixels de vidéos en 240p compressées avec le cul, moins de conneries pollueraient Internet et les cerveaux humains.

De deux, que l’on saisit mieux, plongé dans la mécanique infernale des minutes qui défilent, le sentiment de sidération, d’impréparation, de confusion, qui a présidé aux réactions des forces américaines, entre une chaîne de commande parfois complexe, des informations impossibles à récupérer rapidement, des malentendus, etc.

Enfin, et c’est peut-être le plus fort, le 11-Septembre n’est pas seulement un événement historique, c’est aussi un phénomène iconique, qui nous renvoie tous à l’image de ces deux tours dressées devant un ciel bleu, un avion incompréhensiblement lancé en leur direction, ou s’en échappant déjà dans un très graphique nuage de fumée. Je pense qu’il est très difficile d’aborder le 11-Septembre sans entrer d’abord par cette image forte et obsédante. De manière naturelle, ce livre prend de fait le contre-pied de cette image d’Epinal, en donnant à ce jour un autre lieu central, à la fois confiné, interminable et sisyphéen : les cages d’escalier des tours. Nombre de témoignages tournent autour de ces marches qu’il faut descendre pour les uns, monter dans l’autre, dans une ambiance indescriptible d’incompréhension et de solidarités, lieu de mille anecdotes tantôt émouvantes, tragiques ou, parfois, rarement, amusantes. On y rencontre des personnes qui deviennent malgré elles des personnages, qui pour leur désespoir, qui pour leur sang-froid, qui pour leur héroïsme. Certains témoignages sont interrompus par des descriptions irréelles - et il faut parfois avoir le cœur solidement accroché - en même temps que par des pensées fugaces d’une futilité déconcertante (du genre à se demander si l’on a bien fermé le gaz en partant ce matin alors qu’on est au cœur d’un des attentats les plus meurtriers de l’histoire). Avec fatalement moins de témoins et donc de témoignages, mais tout de même assez pour les faire vivre, le même dispositif permet de suivre le déroulé des événements dans les différents avions et surtout dans le Pentagone.

Bref, c’est un travail d’histoire orale indispensable, éclairant, suffocant aussi, qui emprunte trop souvent malgré lui à ce qui serait, pour le lecteur, les codes du roman catastrophe, mais de manière intime, naturaliste et digne. Je ne vous cache pas avoir eu plusieurs fois les mains qui tremblaient en lisant : comme on s’en doute, ce n’est pas un récit facile, donc tentez-le si vous êtes accroché et n’avez pas prévu de faire un discours à un mariage derrière.

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Abuzeur nous l’avait caché, le vrai scoop de ce Houellebecq c’est que les gamins français jouent encore à Ragnarok en 2027.

Où l’on réalise que Michel ne parle pas très bien de jeu vidéo. En plus j’ai checké vite fait et j’ai l’impression que rune knight et palouf sont pas sur le même tree. J’espère qu’il comptait pas postuler à GK.

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Fnac des Halles.

Quatre vieux personnages en fin de parcours, à Paris, décident de vivre ensemble dans une sorte de phalanstère bancal et joyeux, près de Reuilly-Diderot, pour éviter l’Ehpad ou l’exil au soleil dans des villas médicalisées. Ils nomment ce refuge Finale Fantaisie . Il y a Bob, un colosse, Leïla, une mystique, Suzanne, une inquiète, et le narrateur qui vivent perchés au dernier étage de cet immeuble sans âge, avec un caddie rouillé dans l’entrée et des herbes rares sur la terrasse.

Je me demande si Leïla meurt au tiers du livre. :thinking:

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Ma fille m’envoie un quizz : quote d’Ensemble Stars ou classique de la littérature russe ? Je lui dis c’est bon arrête. J’ai fait 42%…

Je rattrape progressivement un paquet de longs posts Boulette et je voulais te remercier avec un peu de retard pour cette note de lecture.

Le premier tome avait mine de rien beaucoup compté pour moi, à une époque où les infos restaient rares et principalement dispersées sur des pages PHP 4.0 sur fond de têtes de mort qui tournent. Le relire vingt ans plus tard ne serait pas forcément la meilleure idée mais j’ai bien envie de donner sa chance au deuxième tome, dans la foulée de Trigger Happy 2.0.

D’autant que la synchronicité aléatoire m’a fait tombé sur cette news de GK peu après la lecture de mon marque-page Boulette. Je vois ça comme un signe.

(Par contre, Romero a une petite expertise N-Gage et s’est même occupé du port de son Red Faction. A priori et sans avoir lu quoique ce soit, je ne trouve pas déconnant de l’interroger sur l’arrière-boutique de cette machine.)


J’en profite pour indiquer la sortie récente de cet ouvrage collectif ludo-légalo-intello « Les Contentieux du Jeu Vidéo » chez Mare & Martin.

J’ai le premier tome —très orienté droit— de Geoffray Brunaux à finir avant mais du peu que j’en ai survolé, ce sera une lecture plus simple. Le bouquin explique et commente des procès notables: ça s’apparente plus à de l’histoire du jeu-vidéo et mon cerveau disponible s’en réjouit, c’est plus incarné, plus relatable.

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(je déplace la conversation ici)

Jamais lu Les extraterrestres dans l’histoire mais j’imagine que tu as forcément lu le grand classique absolu et best-seller du genre, Le matin des magiciens, de Bergier et Pauwels. C’est pile dans ce que tu décris, l’espèce d’ivresse d’imaginer grâce à la physique quantique un nouveau paradigme ébranler le rationnalisme du XIXe, et sauver miraculeusement la foi dans le paranormal. C’est complètement nawak, mais c’est teeeeeeeellement bien écrit, je pense que je l’aurais lu à 14 ans, je serai en train de parler poésie avec les Martiens aujourd’hui.

D’une manière générale je suis un peu jaloux-nostalgique sans l’avoir connu de mon vivant (c’est quoi le mot suédois pour ça ?) de toute la scène conspi/new age des années 1970, à qui on ne peut pas reprocher une certaine inventivité et un certain talent de plume. A côté, j’ai l’impression que ses succédanés contemporains c’est vraiment le fond de bouteille, une littérature souvent assez premier degré, plate, éculée, sans finesse ni pouvoir d’évocation - alors que s’il y a bien quelque chose à aller consommer là-dedans, c’est un peu de douce rêverie.

Pour le coup, ce bouquin est écrit par un vrai de vrai —et supposé espion— communiste
Note que si les proches de Moscou étaient hermétiques à la pensée magique et aux théories du complot, ça se saurait. Outre qu’il y a tout un courant historique assez intéressant qui défend la thèse que la paranoïa est intrinsèque à tout mouvement révolutionnaire ; et que la tradition mystique se pose là en Russie, c’est pas non plus rare de voir des espions analyser systématiquement les choses sous le prisme de la conspiration - déformation professionnelle, j’imagine.

A ce propos, je ne sais plus si j’en avais parlé, mais il faut lire KGB-DGSE. 2 espions face à face, dialogue entre deux retraités du renseignement. Je spoile, mais plus on avance, plus on se rend compte à la fois du mélange de banalité de leur boulot à leurs yeux au quotidien, et de l’imprégnation mentale de celui-ci, qui leur survit bien après la retraite, voire probablement s’exprime en roue libre, vu qu’ils n’ont plus que leur imaginaire détaché des dossiers pour analyser le monde. Par exemple, Sergueï Jirnov, ancien du KGB, y explique le plus naturellement du monde qu’à ses yeux, ce ne serait pas étonnant que Poutine soit mort et ait été remplacé par un clone. Et comme ça tombe vers la fin du bouquin, ça arrive relativement naturellement, et il faut se pincer soi-même pour se rappeler qu’à partir d’un certain moment, il ne parle plus de ce qu’il a connu mais de la manière dont il envisage le monde maintenant qu’il est un espion retraité. C’est franchement fascinant.

Oui, Le Matin des Magiciens m’a beaucoup impressionné quand on me l’a fait découvrir au lycée. Je me souviens d’ailleurs m’être enfilé les 500 pages sans quasiment m’arrêter, cerveau connecté à cette (belle) plume humaniste, ces hypothèse poétiques sur d’anciennes civilisations ou l’architecture médiévale ou la pensée non-humaine/non-euclidienne, sans parler des géniales nouvelles d’Asimov, A.C.Clarke ou Lovecraft retranscrites ici pour la première fois en Français. (Le livre est paru en octobre 1960).

J’ai lu ça comme on lit du Fantastique, pour la « douce rêverie » comme tu dis. L’érudition des deux auteurs me servait de terreau poétique, entre le what if scientifique à prendre avec des pincettes de 15 tonnes et ce « kick » propre au dynamisme créatif des romans pulp qui marchent allégrement sur toute règle de bienséance. Le but était d’ôter ses œillères bourgeoises, d’aller chercher des ponts entre les savoirs, quelques soit les époques et cultures.

S’il y a beaucoup à dire sur ce mouvement de réalisme fantastique, il avait au moins l’humilité d’avouer d’emblée sa fragilité épistémologique et d’appeler son lecteur à laisser sa torche critique allumée en permanence. Mais je comprends qu’il ait pu être mal-interprété à l’époque par certains lecteurs un peu crédules. D’ailleurs, à ce sujet:

Pas de totalitarisme sans son vernis mythologique, n’est-ce pas ? Sortie de la base messianique judéo-chrétienne, je n’y connais rien en constructions mystique liées au régime communiste mais le Matin revenait dans un long chapitre sur la base ésotérique (complètement folle) soutenant une partie de l’idéologie nazie : terre creuse, Société de Thulé et compagnie.

Alors que, l’année suivante, mes cours de terminale me plongeaient dans les affres de la Seconde Guerre Mondiale, je m’étais fait la réflexion qu’il serait également utile d’enseigner ce pan de la machine de mort nazie, cette religiosité pseudo-scientifique qui lui servait de moteur ou de justification et dont on parle finalement très superficiellement dans le programme scolaire — à l’instar, par exemple, du Juche lorsqu’il s’agit de la Corée du Nord.

Dans les faits, même si elle n’est pas à négliger, il semble que cette part ésotérique de l’idéologie nazie aient été très largement surestimée par Pauwels et Bergier. Les mouvances d’extrême-droite de la fin du XIXe/début XXe fermentaient déjà dans cette soupe faite d’astrologie, d’ariosophie et de runes diverses. Même si certains cadres du parti (dont Himmler) étaient littéralement imprégnés de cet occultisme völkish, il semble que tout ces emprunts ésotériques et bariolés aient plutôt servi de folklores rituels ou visuels — ils ne sont en aucun cas les « fondements » de l’idéologie. Le carnage aurait tout de même eu lieu sans eux.

Un bon article sur ce sujet pour comprendre les accusations, un peu injustifiées selon moi, que s’était pris le livre à sa sortie. Et avec lui toute cette littérature qui fantasmait la part occulte des nazis.

De mémoire, jamais les auteurs ne tentent de faire passer les nazis pour des sorciers, ou ne cherchent à atténuer la gravité de cette période sous quelque parure magique qui viendrait dédouaner les monstres. Mais je n’ai pas toutes les clefs de cette controverse., il faudrait que j’aille lire les critiques de l’époque. Fais signe d’ailleurs si tu croises de la matière dans tes recherches.

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