[Les champs de Pivot] Le stupéfiant topic des 漢字, de l'ετυμολογία et des 𓀀𓋍𓉏𓅢

Sans transition : j’ai longtemps cru que l’immonde pluriel forumfora, qui reste pour moi le summum de la pédanterie gratuite (depuis quand décline-t-on les mots en fonction de leur langue d’origine ? Commande-t-on des pizze avec un Targui, se plaint-on au cinéma d’un excès de *pathous, et, cuisine-t-on, euh, des sushitachi reproche-t-on à un gamin pas sage d’être kawaikunai ? ).

Bref, contre-kem’s, en fait ça existe déjà en français, au moins dans phylum, qui fait indifféremment son pluriel en phylums ou phyla. A sa décharge, c’est littéralement un mot de taxinomiste, donc j’imagine que ça fait partie de son délire de casser les cases.

Apparemment il en va de même pour quantum / quanta et bien sûr minimum / minima, que j’avais complètement oublié.

En tout cas manifestement la règle, c’est qu’il n’y a pas de règle.

Transition naturelle : j’ai vu le mois dernier La Convivialité, spectacle truculent de deux professeurs belges sur les innombrables absurdités de l’orthographe française, et, accessoirement, l’importance essentiellement bourdieusienne de celle-ci (ou l’on apprend, chose que j’ignorais, que nombre de mots avec un accent circonflexe ont été circonflexés par la bourgeoisie au XIXe, comme théâtre, juste parce que ça faisait plus classe et savant, de la même façon que nénuphar s’écrit avec un ph complètement foireux, juste par hélénisme zélé, alors qu’il s’agit d’un mot d’origine arabe.

Une version fort raccourcie du spectacle est visible ici, mais si vous avez l’occasion, je vous conseille franchement d’y assister en personne, d’autant que les deux loustics consacrent une part du spectacle à des interactions avec le public et qu’ils sont d’une répartie redoutable, en plus d’être objectivement très drôles.

C’est également dispo en bouquin, pour info (pas lu mais les retours sont bons, apparemment c’est littéralement leur spectacle à l’écrit, donc je conseille à la semi-aveugle).

:point_down: :thinking: :thought_balloon: :compass: :relieved: :ok_hand:

1 « J'aime »

Sans doute très connu mais en 1998, la version 5.1 de Red Hat Linux comportait un installer en « Redneck ».

The `Redneck’ language entry represents a dialect of American English spoken by Red Hat Software’s Donnie Barnes, and was used as a test case during the addition of internationalization support to the installation program. It is included solely for entertainment value (and to illustrate how difficult it is actually talking to Donnie).

A priori, cette variable locale complètement hors-sol foutait trop le boxon et a été revert la même année mais je trouve ça très drôle. A noter que la traduction n’englobait que le programme d’installation.

J’ai souvenir d’un émulateur qui incluait le redneck lui aussi y a une vingtaine d’années. Je me demande si ce n’était pas Meka ou un émulateur Méga Drive de cette époque.

ça me fait penser que ce livre et son contenu ont parfaitement leur place ici !

Lancez la vidéo et faite tourner le oinj (ou équivalent)

Je tombe sur cet article académique de 2015, « Culture « banlieues », langue des « cités » et Internet » sur la pénétration des forums Internet par l’argot des cités. Outre que c’est un phénomène dont nous avons tous ici été contemporains, voire acteurs, ce papier assez court et hautement bigarré offre de nombreuses étymologies parfois rigolotes (Pélo, sexe masculin, homme (par métonymie), est emprunté au romani pelo, testicule, apprends-je) ; des exemples d’échanges Internet d’un prosaïsme ma foi assez ludique ; et un parallèle final que je vous mets au défi de voir venir. Bref, lecture assez cool.

2 « J'aime »

Je tombe sur cette (vieille) série de vidéos Kotaku dédiées au script original de FF7 et aux compromis de la trad US de l’époque. Peu client de l’egotrip TimRogersesque, j’y suis un peu allé à reculons mais je dois dire le visionnage est absolument passionnant.

Les nuances perdues dans les caractérisations sont assez dingues, j’espère qu’un remaster prochain s’attaquera au manque de place de l’interface pour qu’une localisation plus digne ait la place d’enfin respirer.

L’influent film taïwanais Les Rebelles du dieu néon (:taiwan:青少年哪吒 Qīngshàonián Nézhā), sorti à l’origine en 1992 mais seulement six ans plus tard en France, a pour nombreux décors des salles d’arcade d’époque de Taipei car on y suit en partie les mésaventures de deux petites racailles qui passent leur soirées à voler des cartes PCB pour les revendre au marché noir.



Et donc, détail intéressant dans cette dernière capture d’écran, on peut voir au-dessus des bornes les titres des jeux officieusement traduits en chinois traditionnel d’usage à Taïwan. Par exemple, Dragon Saber est appelé 龍魂ニ代 (grosso modo “Dragon Spirit 2nd Generation”) mais c’est surtout Tetris au premier plan qui me fait marrer avec son titre 魔術方塊 ; on traduirait ça “les carrés magiques” ou “les carrés ensorcelés” et c’est déjà une traduction officieuse extrêmement courante dans cette région linguistique pour le Rubik’s Cube.

C’est d’autant plus rigolo que Puyo Puyo s’écrit officiellement 魔法氣泡 “les bulles magiques” à Taïwan, ce qui aurait pu donc faire de Puyo Puyo Tetris “les bulles magiques contre les carrés magiques” si la Tetris Company n’était pas depuis passée par là pour officialiser et faire assimiler la traduction 俄羅斯方塊 “les carrés russes”.

2 « J'aime »

Dommage que l’étymologie ne soit pratiquement jamais donnée mais bonne liste pour se « mettre à jour » (plus ou moins, DQN par exemple, je pense que c’est une décennie trop tard) sur l’argot japonais de Twitter & co.

Un poilou old (pile prépandémie), mais plein d’amour pour cette liste des 10 nouveaux mots ou expressions virales en Chine en 2019. Où l’on apprend comment on dit « hardcore » en chinois, et, surtout, que l’équivalent à notre seum est un fort drolatique monstre-citron.

https://www.whatsonweibo.com/top-10-of-chinese-state-medias-buzzwords/

1 « J'aime »

J’avoue que traiter quelqu’un de “Sour lemon goblin”, ca peut poser son homme : je prends !

Tiens, une anecdote dominicale « kanji et jeux vidéo » pendant que je range mes bouquins et monte des étagères avec l’aide de cette merveilleuse perceuse-visseuse Hychika (merci bébé comment faisais-je sans toi ?).

Le 大技林 daigirin (« grande forêt des astuces ») était une collection de codes secrets, trucs et astuces publiée par Tokuma Shoten depuis 1989 et affiliée à ses différents magazines JV (Famimaga, PC Engine Fan, Megadrive Fan etc.). Typiquement, le premier numéro de chaque nouvelle année contenait un cahier spécial bonus recueillant tous les trucs et astuces connus pour les jeux du constructeur ou de la bécane concernés.

Par exemple ci-dessus, le numéro de PC Engine Fan paru pour lancer l’année 1994 (daté comme de coutume pour le mois de février donc un mois en avance comme je l’ai souvent expliqué) contenait ce cahier Daigirin‘94 consacré aux jeux PC Engine.

image

En complément de ces bouquins, Tokuma Shoten éditait une ou deux fois par an un omnibus recueillant toutes les astuces de toutes ces machines dans un tome qui dépassait allègrement les mille pages pour environ ¥980. En 1996, par exemple, le Daigirin automnal dépassait les 5000 jeux et les 9000 astuces.

image

Il me semble que j’en avais déjà parlé ici il y a une dizaine d’années (sans l’aspect linguistique qui vient) mais ce bouquin était également une mine d’information pour les joueurs import car il avait pour seconde utilité de recenser toutes les dates de sorties de jeux sur toutes les consoles – y compris pour les jeux dont le bouquin ne donnait pas d’astuce – à une époque où l’on ne pouvait pas encore confirmer ce genre d’info facilement via un Internet encore balbutiant. J’avais pris pour habitude d’éventrer le bouquin pour n’en garder que l’index des sorties et il me reste même quelques cadavres sur les bras. Quelle belle étagère, ma foi ! Hychika !

image

Le 技 au milieu du nom 大技林, est habituellement lu waza quand on le laisse tout seul et peut grosso modo se traduire “technique”, “truc”, “astuce”, “art” etc.

Dans ce cas précis, son apparition fait référence au terme 裏技 urawaza, le terme japonais le plus commun pour parler d’astuces de jeux vidéo mais aussi, dans d’autres contextes, le terme employé pour parler d’une technique cachée, d’une astuce de pro ou d’une botte secrète. Vous voyez l’idée.

Cependant, si l’on voulait être pédant, on corrigerait l’info précédente car dans ce cas précis, 技 fait plus spécifiquement référence à ウル技 uruteku, contraction de ウルトラ技 urutorateku (« ultra technique »), qui était le nom de la très populaire section trucs et astuces du magazine Famimaga (Family Computer Magazine) de Tokuma Shoten – à tel point qu’urutorateku était quasiment synonyme et interchangeable avec urawasa au plus haut de la folie Famicom.

Ici, 技 est donc – non sans un brin d’espièglerie –arbitrairement censé être lu teku (abréviation de « technique »), ce qui contitue une forme de gairaigo. Si vous avez bien suivi, on vient de voir en quelques paragraphes trois façons fluides et complètement différentes de lire le même kanji pour parler du même bouquin.

kanji lecture (groove de lecture)
gi (on-yomi)
waza (kun-yomi)
teku (gairaigo)

Le nom du bouquin a sa propre histoire rigolote. 大技林 daigirin (donc « grande forêt des astuces ») est une parodie du 大辞林 daijirin (« grande forêt des mots »), un dictionnaire édité par la célèbre librairie Sanseidō, particulièrement réputée dans le milieu éducatif et universitaire.

image

Le bouquin avait fait jaser lors de sa première édition en 1988 car, jusqu’ici, le dictionnaire 広辞苑 kōjien d’Iwanami Shoten était resté la seule véritable référence nationale dans le domaine linguistique depuis son apparition au début du XXème siècle. Tokuma Shoten avait donc eu l’humour de parodier Sanseidō pour son propre « nouveau dictionnaire » (d’astuces) un an plus tard.

Notez que dans les années 2000, Tokuma Shoten a également sorti un successeur spirituel au 大技林 daigirin nommé le 広技苑 kōgien, parodiant cette fois le nom du leader du marché des dicos au Japon.

1 « J'aime »

Très intéressant, merci ! Puisqu’on parle de dico, je me posais justement la question l’autre jour, est-ce qu’il y a au Japon comme en France ce marronnier annuel des mots qui font leur entrée dans le dico ? Et est-ce qu’il y a un équivalent nippon à feu Alain Rey et au Robert historique ?

Pardon, je t’avoue que j’en ai pas trop suivi l’actu universitaire mais nos dicos sont annualisés en France ?

Je sais que c’est un évènement important pour chaque nouvelle édition du Kōjien (y avait eu tout un bazar autour de la définition un peu bancale choisie pour le terme LGBT la dernière fois) mais la septième et dernière édition physique date de 2018, et la précédente datait de 2008, donc ça survient à peu près aussi souvent qu’une nouvelle version de Donjons & Dragons.

Ah bah oui. Et je parlerais clairement pas d’actualité universitaire mais commerciale, c’est vraiment le modèle FIFA, avec à chaque sortie une mise en avant dans la campagne RP des nouveautés (lexicales) et une presse plutôt avide, car c’est souvent vu, à raison mais non sans biais importants, comme un reflet de l’évolution de la société. Exemple :

C’est peut-être franco-français, je trouve pas beaucoup d’articles équivalents dans les médias anglais, ou alors, étonnamment, dans des trucs pas franchement intellos comme The Daily Mail.

Y a plus ou moins l’équivalent en espagnol aussi même si c’est plus institutionnel.

Je ne m’étais jamais posé la question, mais il y a une différence entre « Firefighter » (quelqu’un qui fight le fire) et « traveller » (quelqu’un qui travel).
https://twitter.com/dtmooreeditor/status/1569366666844192769

IMPORTANT UNICODE NOTICE:

The character « ꙮ » (U+A66E) is being updated in version 15.0.0.

Because it doesn’t have enough eyes. It needs to have three more eyes.

4 « J'aime »

Le moment où on découvre qu’on est juste pas au niveau dans son champ professionel et qu’on doit remettre toute sa vie en perspective : on m’a appris ce matin que Ru Paul’s Drag Race passait au Japon, et qu’un génie absolu a sous-titré le mot « Condragulations » en « おネエでとう ».
Je suis en train d’écrire ma lettre de démission et je regarde le monastère le plus proche pour passer le reste de mes jours en contemplation silencieuse sur les erreurs de ma vie.

4 « J'aime »

J’ai appris le mot ぶりっ子 (Burikko) aujourd’hui

Se dit d’un fille qui fait semblant d’être timide pour se rendre mignonne.
Peut être employé dans un contexte péjoratif.

Les forceuses là.

J’aime bien parce que c’est très proche de « Bourricot », une autre insulte bien française.

Je ne trouve pas des masses d’info mais à priori, le projet livresque d’Éric Viennot autour de la formidable histoire de Marc Liblin…

…ce Vosgien du XXe siècle (1948-98) apparemment doué de prescience et de xénoglossie puisqu’il s’est mis à parler la langue ancienne du peuple Rapa qui lui venait en rêves, dont le périple jusqu’à Rapa Iti a fasciné feu-Viennot qui lui a consacré une enquête feuilletonnante ainsi qu’un documentaire de 52" qui devrait lui aussi voir le jour prochainement…

…sortira le 27 octobre 2022.
Chez Michel Laffon par contre, donc sans doute un format France Loisirs et une couverture indigne.

Les intervenants ne sont pas à la hauteur mais Viennot raconte élégamment le projet et les connections avec sa propre vie et sa lecture du monde dans cet entretien de mai 2021.

#xenoglossie
#xenolalie