Un assez bon résumé de mon année 2021 : quasi pas touché un jeu vidéo, mais passé un nombre assez indécent d’heures sur Duolingo, la plus populaire des applis d’apprentissage des langues. En fait, je suis dans le 1 % d’utilisateurs qui y passe le plus de temps. C’est chiant, d’être obsessionnel, des fois. Le pire étant que Duolingo est loiiiiiiiiin d’être parfait, voire même assez limité et concon sur de nombreux points. Mais il a quelques qualités assez exceptionnelles.
Pourquoi ne pas aimer Duolingo ? D’abord, parce qu’il s’agit essentiellement de bêtes exercices extrêmement scolaires, très répétitifs, pas ultra stimulants, et qui en outre ne font pas toujours travailler la langue cible : pas mal d’exercices de traduction consistent à assembler ensemble des mots parmi une liste assez limitée. Je peux vous écrire எனக்கு ராக்லெட் சாப்பிட வேண்டும் et vous proposer de traduire en vous offrant les mots je / vélo / la / pneu / manger / vous / raclette / veux / de, je pense qu’il y a 90 % que vous réussissiez l’exercice sans que vous ayez entravé le moindre mot en tamoul. Je regrette par ailleurs l’absence quasi-totale de textes : on travaille jamais plus que des phrases isolées, souvent un peu cliché (et encore, depuis peu, il y a une dizaine de courts dialogues à débloquer qui ont été ajoutés).
Autre limite : le niveau plafonne vite. J’ai validé l’intégralité de la formation en anglais juste en faisant un sans-faute au test de niveau, et ok je sais parler anglais, mais y a un milliard de points de grammaire ou de vocabulaire un peu tricky sur lesquels je peux buter. En gros j’ai l’impression que l’application permet d’aller jusqu’au niveau B2, pas vraiment plus (sachant que A1 grand débutant, A2 faux débutant B1 baragouine poliment B2 intermédiaire, se débrouille sur plusieurs sujets C1 usage courant C2 bilingue, capte les nuances d’accent). C’est donc davantage un outil pour débuter une langue, ou la dépoussiérer, que pour la perfectionner.
Enfin, dernier aspect, le fonctionnement très scolaire de Duolingo n’est pas adapté à toutes les langues - notamment celles dont la structure syntaxique diffère beaucoup de la langue source. Un exemple tout bête : quand on bosse le japonais ou surtout le chinois depuis une langue romane, l’appli va compter comme faux le fait de ne pas restituer « un chat » par 一只猫, alors que le chinois s’en cogne royalement des articles indéfinis, 猫 suffisait largement, et le surtraduire par un numérateur (一只=« 1 animal domestique ») est aussi lourdingue que souvent absurde dans le contexte.
Alors, pourquoi j’ai ruiné autant de temps sur ce service ? Parce qu’il a quand même un certain nombre d’avantages objectifs ainsi que de techniques de captation honteuse d’attention auxquelles je suis parfaitement vulnérable (à commencer par un système de ligues hebdomadaires avec montée/descente de division en fonction du nombre d’xp obtenus en finissant des exercices - je n’ai pas décroché avant de finir 1er de la première ligue, ce qui représente un run incompressible d’environ deux mois et demi). C’est vraiment un levier honteux et je me juge.
Le second point, c’est que le côté scolaire et répétitif a quand même ses atouts, notamment quant il s’agit de mémoriser des trucs absurdes - typiquement des associations entre un signe et un son. Alors que je galérais en chinois depuis que j’ai commencé il y a trois ans, confondant en permanence lectures chinoise et japonaise, j’ai eu l’impression de faire un sacré bond (ou plutôt d’enfin m’arracher au niveau de mauvais faux débutant). J’ai par ailleurs à peu près pigé le système alphabétaire hindi, ce qui est une gageure vue son fonctionnement (en gros c’est un alphabet consonantique avec des ligatures qui servent à marquer la voyelle ; rajoutons que comme en japonais avec le u final, il y a un a court final qui correspond souvent à une consonne quasi sans voyelle).
L’autre avantage, celui qui personnellement m’enthousiasme le plus mais je comprendrai qu’on s’en foute, c’est qu’il s’agit d’une application qui offre un nombre considérable de langues à apprendre, y compris certaines rares (hawaïen, finnois…), y compris certaines mortes (latin), y compris certaines construites (espéranto, klingon, dothraki…). On ne va pas se mentir, si je reste, c’est principalement parce que je peux bosser ou faire joujou avec une vingtaine de langues différentes avec une seule application. Surtout, et c’est pour moi l’argument ultime, on peut changer la langue source aussi bien que la langue cible, et, par exemple, apprendre le chinois en japonais, ou le russe en espagnol, ou l’allemand en hongrois, etc. La combinatoire n’est pas infinie, ce sont des associations prédéterminées (parfois trop à mon goût, j’aimerais bien faire du russe en chinois ou l’inverse par exemple), mais c’est quand même extrêmement utile pour ne pas passer par sa langue maternelle (exercice de gymnastique mentale que je suis obligé de m’infliger, mon vieux cerveau rouillé ayant du mal à spontanément penser dans une langue étrangère, a fortiori nouvelle).
Dans le détail, j’imagine que chacun trouverait plus ou moins son bonheur en fonction de son niveau, de ses attentes et de la ou les langues visées, donc difficile de recommander Duolingo à l’aveugle. A titre perso ça m’a énormément aidé pour absorber du vocabulaire et des idéogrammes en chinois ; plutôt aidé d’un recours précieux pour acquérir rapidement des bases de russe mais je plafonne ; enrichi mon vocabulaire en japonais sur des thématiques un peu spécifiques (genre le judiciaire, cool, je fais enfin pouvoir comprendre Gyakuten Saiban en VO, si je retrouve ma cartouche) ; permis de rafraîchir un peu ma mémoire, à bas niveau, sur l’arabe, le polonais le tchèque, et de faire mumuse sur le finnois, l’hawaïen ou le swahili, mais on ne va pas se mentir, il ne m’en reste déjà rien.
Le plus gros problème au final est que Duolingo entraîne moins à parler les langues qu’à avoir bon aux exercices de Duolingo. Donc si demain j’ai besoin professionnellement de traduire « La vache boit de l’eau » à l’écrit du chinois vers l’italien, les doigts dans le nez, mais pour le reste : zéro réflexe conversationnel, aucune aptitude sociale réelle, juste de quoi se repérer dans des textes étrangers. Je me suis mis depuis quelques temps à Tandem en complément, une application d’échange linguistique, et ça comble pas mal ce manque-là. Dans tous les cas, Duolingo c’est rigolo mais ça n’a vraiment d’intérêt que 1/ si on a que ça à foutre de jongler entre les langues 2/ en complément à des cours, auquel cas je pense que ça peut être turbo efficace.
Je ne peux pas non plus passer sous silence le principal défaut du service : y a pas l’estonien.
Accessoirement, si d’aucuns ont perdu un peu de temps sur d’autres services/applis et ont des retours à donner, je suis preneur ! Il serait je pense assez sain que je reprenne une activité normale et arrête Duolingo.