T’es jaloux parce qu’Itō a réussi avec Dungeon Encounters là où Kawazu s’est complètement ramassé avec Unlimited:Saga.
J’étais complètement accro au jeu le mois dernier ; j’en ai perdu des heures de sommeil comme rarement ces dernières années. J’ai bassiné à qui voulait l’entendre (exemple ci-dessus) que c’était le GOTY. Des braves gens de tous horizons m’ont systématiquement fait confiance, l’ont acheté et ont trouvé ça complètement nul. Peut-être que le vrai trésor au bout de ce labyrinthe seront tous les amis qu’on a perdus en cours de route.
C’est le nouveau RPG chapeauté par Itō Hiroyuki, qui a un CV long comme le bras chez Square Enix mais avait un peu disparu de la circulation après Final Fantasy XII ← jeu qui fête ses quinze ans donc ça nous fait de jolies RTT… Je l’ai surtout acheté sur la bonne foi de premières réactions étonnamment enthousiastes et je remercie les quelques zozos fêlés qui ont vu la lumière comme moi. Laissez-moi vous expliquer ! Laissez-moi vous convaincre !
Tout brave joueur de Dungon Encounters est chargé de recruter quatre aventuriers (parmi une trentaine disponibles) pour explorer et cartographier (en marchant dessus) toutes les cases d’un donjon labyrinthique – on gagne d’ailleurs des bonus d’équipe assez cruciaux à chaque fois qu’on « repeint » un niveau complètement, ce qui rajoute une saveur Picross ou Démineur qui ne me déplaît point.
Le labyrinthe est représenté de façon très basique, comme une succession de feuilles quadrillées avec un labyrinthe dessiné dessus. La simplicité des graphismes pourrait faire croire à un roguelike mais il s’agit systématiquement, à chaque visite et pour chaque joueur, du même dédale.
Du fait du quadrillage, chaque case a trois coordonnées : son étage (f), sa latitude (y) et sa longitude (x). On démarre sur la case f0,y50,x50 dans ce qu’on devine être un village au bord du labyrinthe. Chaque fois qu’on descend, le chiffre f grimpe d’un cran (donc le sixième sous-sol est identifié f6) mais les cases sont correspondantes d’un étage sur l’autre (donc la case f1,y42,x57 est juste « au dessus » de la case f2,y42,x57). Ça a son importance car certains pouvoirs et pièges vont permettre ou demander de se téléporter d’un étage sur l’autre avec un des différents sorts débloqués pendant l’exploration du labyrinthe.
Les aventuriers ont chacun et chacune un profil prédéfini mais sommaire ; le synopsis de leurs motivations est souvent bien écrit et parfois original mais il n’a généralement aucun impact sur l’expérience du joueur et finalement c’est surtout l’équipement des persos, quelques stats de départ plus ou moins gonflées et les bonus qu’on leur donne avec certaines potions qui vont façonner l’identité du groupe. La principale faiblesse mécanique de Dungeon Encounters est peut-être l’inconséquence de ces persos, mais ne pas trop s’attacher à eux ni les trouver irremplaçables permet de moins regretter quand l’un d’entre eux tombe dans un gouffre sans fond au bout de 40 heures de jeu.
Le groupe qu’on choisit à l’académie au début ne sont pas les premiers à se lancer dans le labyrinthe et la liste des aventuriers potentiels contient un paquet de héros grisés, plus ou moins puissants, qu’on pourra retrouver et éventuellement recruter, à condition d’avoir un espace libre dans son équipe. Il faudra donc le rejoindre avec un groupe de trois persos maximum.
Certains de ces héros ont des coordonnées connues ; il suffira de se retrouver sur la bonne case et d’ouvrir la liste des personnages pour le ou la rajouter dans son équipe. D’autres sont perdus dans le labyrinthe sans coordonnées claires, auquel cas il faudra un peu d’astuce et débloquer les bonnes compétences (notamment une espèce de radar à aventuriers) pour les repêcher. On ne voit jamais les aventuriers dans le labyrinthe, en dehors du pion du joueur, ni d’indice visuel pour nous dire qu’on est passé sur l’un d’entre eux. C’est uniquement dans la liste des feuilles de persos qu’on aura la confirmation de bien les avoir trouvés.
Certains de ces aventuriers sont morts, auquel cas il faudra les ressusciter après les avoir mis dans son équipe. Certains de ces aventuriers sont pétrifiés, auquel cas il faudra noter leurs coordonnées pour aller prier à leur endroit devant la statue de la Gorgone (ce qui nous enseigne du coup qu’il en sera de même si un membre de l’équipe se fait pétrifier en plein combat). On tombe parfois également sur des énigmes qui réclament de reconnaître une case vis-à-vis de son environnement, ou de déchiffrer les coordonnées via des puzzles de mathématiques ou de logique pure, généralement pour déterrer un trésor très pratique.
Bref, un vrai petit jeu de piste qu’on accomplirait sans grand souci s’il n’y avait pas des rencontres.
(D’où le nom du jeu ! OK, je viens de piger.)
La plupart des cases du labyrinthe sont vides mais certaines peuvent être remplies avec un nombre hexadécimal (donc de 00 à FF) blanc ou noir. Blanc, c’est généralement une bonne nouvelle : un magasin, une statue qui soigne une malédiction ou un statut négatif, un portail de téléportation, une nouvelle compétence d’équipe etc.
Truc important à comprendre, un numéro correspondra toujours au même truc. L’académie de départ est la seule case blanche 00 du jeu. On commence (généralement) chaque étage sur la case blanche 02 (escalier ascendant) à la recherche de la case blanche 01 (escalier descendant). On peut soigner son équipe sur 06 et ressusciter les morts sur 05. On achète des armes physiques chez 14. On se soigne des poisons sur 07.
La présentation ayant beau l’air très sommaire, on visualise donc très facilement et intuitivement la structure du donjon. À certains étages, on va soudain tomber sur un amas de cases blanches qui donnera l’impression d’être tombé sur un petit village. Perso, j’ai trouvé cette évocation par l’iconographie incroyablement efficace ; encore une fois assez proche de l’idée des donjons schématiques d’Unlimited:Saga, ou de jeux plus récents comme Hand of Fate et Voice of Cards, mais avec un véritable level design plus proche d’un Wizardry par dessus. Dungeon Encounters donne perpétuellement l’impression qu’on a perdu l’écran principal d’un RPG sur DS ou 3DS et qu’on doit imaginer ce qui serait affiché dessus.
Quand on marche sur une case remplie par un nombre hexadécimal noir, la rencontre est un combat. Pareil, identifié de 00 à FF, généralement dans un ordre de difficulté croissant – il arrive que des gros monstres fassent du tourisme dans les premiers niveaux donc ne vous lancez surtout dans autre chose que des combat 0x au début, à moins de savoir exactement comment les aborder.
Le nombre identifiant du combat ne représente pas un monstre proprement dit mais une combinaison spécifique de monstres qui peuvent apparaître dans ce combat. Par exemple, la case 01 lancera un combat qui ne pourra inclure que des Ghosts et des Wild Boars. La case 03 n’aura que des Skeletons. La case 51 pourra piocher dans une réserve de Lamias, Amoebas, Aevis et Creeping Lavas.
Ce qu’on ne maîtrise jamais, et qui fait donc le sel des combats, c’est combien d’entre eux seront présents. Chaque combat lancé fait apparaître entre zéro et six ennemis (avec clairement des probabilités différentes, notamment pour ces deux extrêmes) mais on ne saura jamais par exemple si le combat “qui peut faire apparaître un sorcier” en aura zéro, trois ou cinq dans le groupe ce coup-ci.
C’est primordial pour donner du sel au jeu car généralement chaque ennemi a un pouvoir relou et une carence manifeste ; en fonction des forces et faiblesses spécifiques de votre groupe, la combinaison d’ennemis sera donc plus ou moins dangereuses. Vous êtes nazes en défense magique ? Mieux vaut zapper les combats pouvant faire apparaître des sorciers, en les contournant ou en utilisant un des sorts pouvant manipuler votre positionnement ou celui des cases noires dans le labyrinthe.
Mais comme on apprend assez rapidement sur quoi on va tomber à chaque case noire, on peut aussi se préparer en conséquence. À force de trouver certaines case (blanches) d’information remplissant le pokédex, on pourra vérifier exactement quels types de monstres pourraient tomber dans chaque combat, leur niveau (car on peut ensuite recroiser des monstres à un niveau supérieur), combien d’XP et d’or chacun procure, et quel objet ils peuvent lâcher – d’ailleurs occire un monstre débloque automatiquement ses drops potentiels dans les magasins et c’est ainsi qu’on élargit leur inventaire au fil de l’aventure.
Le jeu est volontairement contraignant sur un tas de trucs mais pas sur la gestion de l’équipement, qui est juste géré par un coût global d’équipement propre à chaque perso (la valeur totale des objets équipés ne peut pas dépasser ce score global). Sinon, tout le monde peut tout équiper et le groupe a constamment accès à tout le fatras qu’on a récupéré. La prochaine case fait apparaître un ennemi super fort (genre un Minotaure) qui n’a que des attaques physiques et aucune défense magique ? Vous emmerdez même pas avec des équipements de défense magique, blindez la défense physique et les armes magiques. C’est ce genre de préparation minutieuse qui permet ensuite faire grimper les autres aventuriers en niveau bien plus vite.
Voilà les bases. Dungeon Encounters est assez effrayant (et aride) au départ, mais j’ai été bluffé par sa clarté et son honnêteté : toutes les règles sont filées dans trois registres qu’on peut – mais surtout qu’on DOIT – consulter pour comprendre ce qui nous attend dans le donjon. C’est tellement primordial que la liste des cases noires, par exemple, est accessible à tout moment en appuyant sur le stick droit sans avoir à passer par le menu.
Dans le même genre, il est assez unique qu’un RPG de ce genre ait des règles aussi limpides et lisibles pour ses combats. Si on savait combien de monstres de chaque type allait apparaître sur chaque case noire, on pourrait même résoudre chaque combat mentalement à l’avance.
Le système de combat fonctionne sur un système à mi-chemin entre l’ATB de Final Fantasy (conçue par Itō) et la dichotomie HP/LP d’un SaGa.
- Chaque perso ou monstre a trois barres de santé : sa défense physique (PD), sa défense magique (MD) et ses points de vie (HP). Pour tuer un personnage, il faut vider ses HP.
- Une attaque physique fait descendre la barre de défense physique, une attaque magique fait descendre la barre de défense magique.
- Une fois que la barre de défense est tombée à zéro, la prochaine attaque de ce type fera chuter les HP.
- Les PD et les MD se soignent automatiquement après chaque combat, mais pas les HP.
Tout va s’articuler autour de ces quatre règles. Certains ennemis commencent direct avec zéro MD. Certains ennemis ont des barres de MD et de PD gigantesques mais juste 1HP. D’autres, l’inverse. Certains ennemis volants ont peu de PD mais sont immunisés aux armes de corps-à-corps et plus faciles à atteindre avec de la magie. Certains sorts soignent les MD, d’autres les HP. Le système d’équipement impacte lui aussi ces mêmes systèmes et contraintes.
Pendant le combat, chaque perso ou ennemi remplit son ATB en fonction de sa statistique de vitesse (un perso spécialisé en stat de vitesse pourra attaquer deux fois plus vite que certains ennemis). Chaque perso ou ennemi a aussi deux « armes » disponibles, mais il peut s’agir d’une arme physique, d’un sort ou d’un objet. On peut donc choisir entre équilibrer ses aventuriers (par exemple garantir qu’un perso puisse à la fois lancer des attaques physiques et magiques) ou au contraire les spécialiser.
Le jeu file aussi constamment des objets que je qualifierais d’irritablement pratiques – c’est vraiment un de ses coups de génie. Un objet qui a une chance de faire immédiatement disparaître la barre de MD (mais ne fait aucun dégât aux HP). Un autre qui a une chance de réinitialiser l’ATB d’un ennemi. Un autre qui peut pétrifier les monstres (non-immunisés). Etc. Ces objets et reliques obligent constamment à choisir entre sacrifier des types d’attaque un peu plus versatiles et sûres ou laisser tomber un objet complètement craqué dans certains cas spécifiques mais inutile et encombrant dans certaines situations.
Même les calculs de dégâts sont parfaitement limpides. On n’est jamais surpris, c’est exactement le dégât qu’on a calculé mentalement puisqu’au lieu d’une statistique de défense qui modifierait le dégât d’une attaque, comme dans la plupart des jeux, tout est ici représenté avec les trois jauges : un bon équipement fait juste grimper les PD ou les MD du perso, qui se prendra toujours le même dégât de la même attaque.
… Sauf si on a choisi une arme à dégât variable ! Chaque classe d’arme physique ou magique (parmi une douzaine environ) a ses spécificités. Certaines occasionnent un dégât spécifique à un ennemi (genre, -1000PD garantis). D’autres, une fourchette dangereuse mais potentiellement plus puissante (entre -1 et -2000PD). D’autres sont moins puissantes (-500PD) mais touchent tous les ennemis à la fois etc.
En fait, c’est le système de combat le plus lisible et digestible que je connaisse dans un RPG. La perfection du modèle JRPG traditionnel que la Super Famicom a sacralisé. Rien n’est opaque. Tout succès ou échec est dû à la préparation et à la logique du joueur. Ça n’en fait pas pour autant le meilleur système de combat du monde, hein. Des trucs plus récents et plus ambitieux comme FF12, Xenoblade 2, Scarlet Grace, n’importe quel jeu Press Turn etc. proposent des grammaires bien plus complexes et stratégiques – si on a le courage de les comprendre. Mais c’est chouette d’observer l’aboutissement théorique de ce language si familier.
Tous les dix étages, on change de biome et on découvre de nouveaux types de pièges. Ça devient vraiment putassier vers le niveau 60, avec des trucs a priori indevinables. On prend assez vite le réflexe de sacrifier un toto qui va se manger les pièges pour le bien du groupe, genre quand le jeu nous propose des téléporteurs à sens unique suspicieux. Je n’ai même pas détaillé le système de compétences d’exploration qui permet de jouer avec le level design de la grille. Avec encore une fois plein de contraintes un peu chiantes qui obligent à faire des choix, ce qui est quand meme le nerf de la guerre pour un bon jeu vidéo.
Effectivement, la musique est inexplicablement nulle à chier. Je pense que c’est le seul point sur lequel tout le monde sera d’accord, même la maman du compositeur. Mais on peut la couper sans virer les effets sonores. Du coup, c’est aussi un jeu qui m’a permis de rattraper plein de podcasts. Byzance !
J’ai lâché Dungeon Encounters pas loin de la fin pour finir un autre truc qui me tenait à cœur (on en reparlera) mais j’y reviendrai forcément car c’est la proposition de game design la plus excitante de mon année 2021 ; peut-être la seule qui m’a donné l’impression d’avoir appris des trucs sur comment faire un bon jeu vidéo. (Returnal a l’air intéressant mais je pense que je verrai une PS5 en vrai pour la première fois circa 2035.) Et tout ça avec un budget plus ric-rac qu’une vidéo TikTok. Ce n’est pas à Kawazu qu’il faut filer plus de thunes, c’est à ce pauvre Itō !
Shin Megami Tensei V dont la bande-son est d’ailleurs une fois encore prodigieuse.
https://www.youtube.com/playlist?list=PLEq5cDGZhJM63l7Zj2Zri60AYfqUqo2Hx
Je viens à peine de commencer – 8h, deuxième grande zone après le premier Boss – mais pour l’instant je le trouve étonnamment simple (en difficulté normale). Les devs ont ramassé tous les magasins habituels de SMT dans un seul point de sauvegarde hégémonique qui rassemble téléportation, soin, magasin (universel), fusion etc. C’est vraiment très pratique mais peut-être trop pratique ? Du coup tout l’équilibrage a l’air de se faire avec la pingrerie des Macca… En tout cas, la customisation étant encore plus poussée et moins contraignante que celle de SMT4, je soupçonne qu’on puisse pêter le jeu encore plus facilement.
J’en reparlerai à l’occasion mais, pour celles et ceux qui comptent s’y mettre, j’y ai joué en japonais, français et anglais ; pour une fois je trouve le script anglais largement au dessus du lot. Les autres langues font le taf mais les négociations de monstres sont franchement hilarantes en anglais.
En tout cas, j’aime beaucoup l’univers de cet épisode et ses dunes de sables engorgées de soleil. On est à mi-chemin entre une balade à Doha et les premières heures de FF12, loin du blues de bitume gris habituel avec ce genre de scénario post-apo.