♪ Quaaand je jouuue ♪ Impressions, questions et discussions JV

Beaucoup hésité avec le topic rétro, mais mettons ça là : lancé et fini, en une trentaine d’heures de jeu, Assassin’s Creed: Black Flag. Je m’y suis mis un peu sur un coup de tête, après une énième partie de Civ VI, l’impression de commencer à tourner un peu en rond, et l’envie de jouer à un jeu un peu histoire-géo-po-les humains sont des cons, ce qui devrait être la baseline de la série. Accessoirement il était en promo sur Switch, je ne l’avais jamais fait, il est réputé être l’un des meilleurs AC, je n’avais aucune raison de me balader dans les Caraïbes ni aucune raison non plus de ne pas y tuer le temps, donc j’ai mis le cap vers la Havane.

Comme très souvent avec Assassin’s Creed, j’attendais ça…

… et j’ai eu ça

J’ai deux grandes familles de reproches à faire au jeu, l’une qui sont génériques et valent pour la plupart des épisodes, l’autre qui lui sont spécifiques.

Commençons pas le problème de base : Assassin’s Creed est son propre ennemi. J’ai rarement vu une IP (jamais, en fait) qui porte en elle à la fois autant de promesses et autant de contradictions qui, structurellement, l’empêchent méthodiquement de les tenir.

D’abord sur la narration environnementale : c’est enfoncer une porte ouverte, mais c’est fou comme l’effort colossal de reconstitution géographique d’un côté est pollué par la structure du jeu. C’est comme si Michel-Ange et un collectionneur de pin’s s’étaient mis d’accord pour partager une même toile, l’un pour peindre, l’autre pour accrocher sa collec’. Pris individuellement, je n’ai rien à reprocher l’un à l’autre, chacun dans leur registre ils ne font qu’aller au bout d’eux mêmes, mais qui les a mis dans la même salle ? C’est complètement absurde.

Ce qui est vrai de la géographie l’est aussi pour l’histoire, dans les deux sens du terme : alors qu’un évident travail de recherche amène systématiquement à creuser les maillons discrets d’époques historiques charnière, mettant en scène de manière saisissante des disparités géographiques et sociales, des luttes géopolitiques, des enjeux de ressources, etc., tout finit à chaque fois in fine dans la moulinette adolescente d’une grande fiction complotiste qui traverserait les âges et viendrait effacer toutes les logiques mises en avant.

Est-ce que je suis trop dur avec la série ? Je me le demande. Il est assez probable qu’AC soit (du reste comme les Unch et les Tomb Raider) l’équivalent contemporain des serials d’il y a un siècle : la promesse est la même, celle d’un mélange d’exotisme, de tourisme archéologique et de romanesque. Est-ce le parti pris initial d’un monde ouvert et le setting atypique du premier épisode qui a poussé les devs dans la voie sans retour de la course au réalisme historique ? Au contraire de Rockstar, qui a toujours mis en avant la liberté d’interprétation et de recréation de ses jeux et de ses villes, Ubisoft me semble éternellement coincé entre deux aspirations contraires, l’une documentaire et l’autre fictionnelle.

En soi, à part pour ceux qui comme moi sont plus attirés par l’approche documentaire, ce n’est pas grave, je ne suis pas certain qu’on fasse le même procès à Dan Brown ou Indiana Jones. Je pense que le problème vient surtout du fait que d’un aspect à l’autre du jeu, l’équilibre entre ces deux pôles n’est pas le même. J’ai l’impression, sans être ceinture noire en la matière, que pour tout ce qui concerne les accessoires, des navires aux vêtements en passant par les armes, la crédibilité historique prime (et quand bien même des libertés sont peut-être prises, cela semble crédible, ce qui revient ici à peu près à la même chose). Jusqu’à aller chercher dans cet épisode des trucs assez incroyables, comme les cloches à plongeur, dont j’ai appris l’existence. A l’inverse, les collectibles semblent complètement déchargées de toute obligation de faire sens : les chants de pirates s’apprennent par exemple en faisant la course à des notes de musique qui dansent sur les toits.

Pardon mais j’ai la ref, on n’est plus du tout à la BNF, mais sur Nintendo 64, là :

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Les problèmes de cet épisode, maintenant. Ils sont inhérents au setting : l’expérience paraît à la fois très générique, impersonnelle et très archipélagique. Générique, parce que le thème des pirates des Caraïbes est tellement saturé qu’il est difficile d’apprécier l’aventure de manière non intermédiée. On pense en permanence à pléthore de références populaires sur le sujet, de Pirates des Caraïbes aux zones de parcs d’attraction. J’ai notamment beaucoup tiqué sur les accents, très prononcés, en me faisant la remarque que je n’ai strictement aucun moyen de savoir si on parlait avec cet accent là dans les Caraïbes du XVIIIe siècle, mais que cet accent-là m’était familier parce que c’est toujours comme ça que l’on m’a présenté l’accent pirate. Si bien que j’ai plus souvent eu l’impression d’être à Disneyland qu’au XVIIIe siècle. Cette impression est accentuée par le fait que les îles traversées se ressemblent beaucoup, et que quand elles ont une identité forte, comme Nassau, Kingston ou La Havane, il est très difficile de s’y croire, sauf à connaître de manière intime ces villes (ce qui est a priori le cas si l’on est des Bahamas, de la Jamaïque ou du Cuba, mais moins probable pour le pauvre français n’ayant jamais mis les pieds dans les Caraïbes que je suis). Ce n’est évidemment pas la faute des devs. J’ai l’impression que le setting paye la faible notoriété de ces villes (non pas qu’elles soient inconnues, bien sûr, mais il est difficile de se targuer d’en connaître les lieux iconiques - problème qui se pose moins avec Paris, Londres, New York, etc.). C’est cruel : l’accent pirate sonne trop familier, les villes, pas assez ! Enfin, l’expérience est par nature archipélagique (oui j’adore ce mot), on voyage d’île en île sans avoir le temps ni la place, à quelques exceptions près, de s’y attacher. C’est la raison pour laquelle Assassin’s Creed Unity reste pour moi l’AC parfait : il y a une unité de lieu, une iconicité et une densité qui permettent aux lieux d’exister, Paris y est non seulement le théâtre, mais le principal personnage du jeu, elle est complexe, intimidante, elle nous prend, nous balade et nous avale, quand ces multiples îlots donnent l’impression d’une succession de figurants sans grands reliefs, éparpillés par des flots aussi superbes que génériques. Odyssey m’avait moins donné cette impression-là, notamment parce qu’en dépit de l’importance de ses îles, les villes y existent vraiment, et notamment Athènes, complexe et vivante.

Je pense que Black Flag aurait sûrement réussi à mieux camper ses villes en faisant davantage vivre leur histoire et leur culture. Cela marche un peu, notamment grâce aux cut scenes, pour Nassau, capitale fauchée et débauchée de la république des pirates, beaucoup moins pour La Havane et Kingston, dont on perçoit bien qu’elles sont sous domination respectivement espagnole et anglaise, mais sans aller plus loin que des costumes différents pour les gardes. Cela manque de personnages qui parleraient de ces villes, les feraient visiter, de scènes d’intérieur, ou de bar, aussi. C’est aussi la raison pour laquelle j’ai failli mettre ce post en rétro : on sent que le jeu souffre de la comparaison avec les épisodes ultérieurs et surtout Red Dead Redemption 2, qui aborde des thèmes similaires, la crise existentielle de hors-la-loi pris entre deux époques, mais le fait avec plus d’élégance et d’organicité. On en revient au problème de base : la série AC a été en partie pensée comme un serial, elle en a l’écriture pulp un peu clichetonneuse et grossière, qui l’empêche d’exprimer à plein son incroyable potentiel.

Tout cela étant dit, cela reste un très bon jeu, et j’ai passé un très bon moment, même si je me suis davantage senti dans un jeu de pirates que dans la simulation histoire-géo-po-les humains sont des cons que j’espérais sans y croire. Mais à la décharge de Black Flag, c’est un excellent jeu de pirates, avec des batailles navales parmi les plus exaltantes qu’il m’ait été donné de jouer, des séquences de tempêtes estomaquâtes, des paysages maritimes ravissants, et au passage plein de sushis à l’espadon à l’équipe qui s’est pris la tête sur le système de caméra, et a trouvé un équilibre miraculeux entre jouabilité et immersion (on se voit à la barre en quasi permanence, sans que l’angle ne bouche jamais la vue). Et accessoirement, si les phases d’infiltration classiques sont réussies mais classiques, Black Flag développe quelques missions très étonnantes d’infiltration en galion.

C’est également un titre évidemment très riche, qui pendant une quinzaine d’heures m’a bluffé par la variété des situations et des systèmes - franchement, c’est presque du quatre jeux en un, on passe de séquences Hitman à World of Ships, Uncharted à Mirror’s Edge, le tout sans grande incohérence (une fois que l’on a admis que les pirates escaladaient les églises pour y faire le saut de l’ange depuis un nid d’aigle).

Je remercie aussi Black Flag pour m’avoir appris (ou en tout cas donné envie d’apprendre) des trucs, comme sur cette courte mais fascinante histoire de république des corsaires au début du XVIIIe à Nassau. Je ressors de l’aventure avec une envie de lire ce bouquin : l’un dans l’autre, c’est plutôt bon signe.

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