(lukrer de longe date, je profite du grand reset de 2021 pour m’inscrire, c’est moins intimidant une fois le forum reparti de zero, et éventuellement poster des trucs constructifs quand j’ai l’expertise pour)
Pour Evangelion la récupération des droits de la série est un effet collatéral du projet, mais ce n’était sans doute pas un objectif d’Anno quand il s’est lancé dedans. Mais Anno s’est plus que certainement lancé dedans avec sincérité vis à de ses intentions créatives et de son public plutôt qu’une démarche financière bassement cynique.
Anno a commencé à penser au projet fin 2002, à peine 5 ans après The End of, alors qu’il bossait sur le film en prise de vues réelles et Cutie Honey et les OVA qui lui sont attachées. En 2004, une fois ces engagements terminés il réuni l’équipe créatrice de la série TV pour bosser dessus. Ici les compte-rendus de ce qui s’est passé diffèrent, selon Yamaga et Akai, les directeurs de la Gainax à l’époque, Anno a d’abord tenté de proposer la production au studio, qui l’a refusé car de nouveaux projets portés par la nouvelle génération de créatifs étaient sur le point de voir le jour (ça aboutira à Gurren-Lagann), de son coté Anno a clairement dit l’année dernière qu’il n’a jamais envisagé de le produire au sein de la Gainax, mais c’était alors qu’il tentait de prendre ses distances avec le studios et les scandales dans lequel ce dernier était empêtré et je me souviens de déclarations datant de l’époque de la sortie des deux premiers films (et que forcément je n’arrive à retrouver) qui allaient dans le sens de Yamaga.
Des histoires de gros sous viennent vite envenimer la relation entre les deux et Anno décide donc de prendre son indépendance et de partir avec sa garde rapprochée fonder khara dans le but de réaliser Les Nouveaux Films d’Evangelion. Dans un premier temps le studio ne doit être qu’une entité créative qui conçoit le film avant d’en sous-traiter la production de l’animation à un studio externe, mais assez vite la décision est prise de le réaliser en interne et d’en faire un studio d’animation à part entière. khara est formellement formé au printemps 2006.
À l’origine le projet était beaucoup plus modeste, pour conserver le contrôle créatif Anno décide d’écouter les conseils de Suzuki Toshio et de ne les produire que sur fond propre, sans comité de production. C’est d’ailleurs la cause de ces partenariats commerciaux infinis entre Evangelion et les marques les plus improbables possibles, Anno a prêté ses personnages à tout et l’importe quoi, même le PMU, pour lever l’argent nécessaire à la production des films.
Quand le projet est formellement annoncé en 2006 il devait s’agir de trois films. Les trois premiers re-raconteraient les épisodes 1-24 et le dernier, diffusé à la suite du troisième en salle au sein d’un même programme, serait une conclusion inédite. Le calendrier à l’époque voulait qu’ils sortent le premier film fin 2007 et les suivants en 2008. Selon toute vraisemblance à ce moment dans la tête d’Anno les seconds et troisième films seraient réalisés sur le modèle du premier, en recopiant autant que possible la série TV, et seule la fin serait une véritable création originale.
Et quand on relit la note d’intention d’Anno à ce moment, on se retrouve face à un Anno qui semble apaisé et enfin avoir fait la paix avec sa création. Impression renforcée par sa postface au premier volume de l’édition aizôban de Gundam The Origin, écrite un an plus tôt, où il annonce « je ferais de mon mieux pour que mon prochain projet prenne la forme d’un grand récit ».
Anno profite aussi d’avoir sa propre structure pour y rapatrier les droits d’Evangelion que la Gainax avaient pleinement récupérés en 97 et auxquels il ne s’était pas vraiment intéressé depuis. Le studio était très mal géré, il était composé de personnes qui étaient avant tout des fans et des créatifs, pas des gestionnaires, et ses projets pas forcément rentables, mais Evangelion arrivait tant bien que mal à combler les pertes et payer les salaires. C’est la grande époque de l’Evangelploitation de la fin des années 90-début 2000, avec tous ces mangas, pachinko et ces jeux vidéo OSEF qui ont été offerts à des fans trop contents de les acheter malgré leur médiocrité (qui se souvient encore du Smash Bros Eva naze sorti sur PS2 ?). .
Dans un premier temps Anno la laisse en gestion à Gainax, moyennant un pourcentage des recettes, puis rapatrie petit à petit les droits. En 2009 le copyright de la série devient ©khara/Gainax puis en 2010 ©khara. Le manga en porte une belle trace, la mention oeuvre originale passant alors de Gainax à khara en pleine publication.
De sombres histoires d’argents se mêlent à tout ça quand la Gainax devient un mauvais payeur, puis sollicite un prêt auprès d’Anno, mais Fabien a parlé de ce sujet de façon bien plus exhaustive ici et là.
Dans les faits Anno a alors signé l’arrêt de mort de la Gainax qui, toujours aussi mal gérée, ne saura profiter du succès de Gurren-Lagann pour rebondir et retournera très vite à enchaîner les séries de commandes sans réel intérêt et sans Evangelion pour éponger les dettes. Le départ de Nishigori pour A-1 Pictures puis de Imaishi, Yoshinari et Amemiya pour fonder Trigger, chacun avec une partie des artistes de la boite, finira par achever le studio.
Retours aux Nouveaux Films, le premier d’entre eux sort en salle en septembre 2007 et comme tout le monde le sait il est majoritairement composé de plan de la série redessiné (sur le storyboard on voit clairement qu’ils ont découpé des cases des boards originaux pour en composer une partie,) avec seule la fin en vraie partie complètement repensée de bout en bout.
Pendant la production Anno a petit à petit repris ses marques et a accepté l’idée qu’il pouvait désormais prendre ses libertés avec le récit tel qu’il était raconté dans la série TV. De plus le succès s’est révélé bien plus important que prévu. Sur le premier film Anno était bridé par l’argent qu’il avait pu lever lui-même pour produire son film, mais désormais il n’a plus personne pour le contrôler, il est le producteur principal du film et l’argent n’est plus un problème en soit. Hors c’est la pire des situations possible pour un artiste comme lui qui s’épanouie surtout lors de la phase créative, quand les idées sont nombreuses et fluides, qu’il peut les multiplier pour voir où elles mènent et expérimenter avec les « et si… » sans conséquences.
La production du second film devient plus ambitieuse et la préproduction s’éternise, l’artbook du film contient des concept arts maboules et des pages de storyboard qui appartiennent à un tout autre film, Anno a du mal à trouver son récit. Il a promis de nouveaux personnages, de nouveaux anges et de nouvelles Evangelions, en partie dans l’espoir que ces nouveaux éléments le forcent à casser le moule de la série, mais sans avoir une idée claire de ce qu’il allait en faire. Il peine à organiser ses idées, multiplie les brouillons en vain, son script est trop long et il n’arrive pas à savoir quoi faire de Mari, le caractère et le rôle du personnage n’étaient pas encore décidés. Il fini par organiser une session de travail à Atami avec Tsurumaki et Masayuki, ainsi que Enokido, le scénariste de FLCL et DieBuster, invité par Tsurumaki. Enokido va se révéler capable de réaliser les arbitrages qu’Anno n’arrivait pas à réaliser jusque là et replace l’écriture du film sur les bons rails qui le mèneront vers la forme qu’on lui connait. Mais dès cette époque, fin 2007, il est déjà évident qu’Anno se heurte à ces difficultés car il s’est lancé dans le projet avec une idée claire de la forme qu’il voulait lui donner, mais qu’il n’avait pas pensé le contenu plus que ça et a du mal à se décider de ce qu’il veut faire avec ces films.
Le second film sort au final mi-2009, soit une bonne année de retard sur le planning original, est autrement plus impressionnant que le précédant, et rencontre un succès inédit pour un film adapté d’une série TV d’animation. Anno a désormais encore plus de moyens pour la suite, mais aussi une pression encore plus grande dues aux attentes du public.
La production du troisième film est un mystère. Contrairement aux deux premiers il n’y a pas eu d’épais artbook compilant documents de production et masse d’interview pour en expliquer la création. Et quand le core staff est interrogé dessus, ils boutent vite en touche comme si ils en avaient honte. Je me souviens en avoir parlé avec Fabien à l’époque et on était d’accord qu’il ne serait pas surprenant d’apprendre que khara ait lancé la prod du film pour l’annuler et repartir à zéro sur le film que l’on connait.
Mais il semble évident qu’Anno a tenté de décharger la pression qui pesait sur ses épaules en choisissant la fuite en avant, en repoussant à plus tard une conclusion qu’il n’arrivait à trouver, en reniant la conclusion de son précédant film qui voyait Shinji s’émanciper bien plus tôt que dans la série TV, en évitant non seulement de répondre aux questions posées par les deux premiers films mais surtout en produisant un film aux antipodes de ce que les spectateurs attendaient.
Et difficile de ne pas voir, rétrospectivement, dans son Shinji incapable de ne pas reproduire ses erreurs passées une prophétie auto-réalisatrice vu qu’Anno est sorti du film brisé et s’enfoncera très vite dans la dépression pour plusieurs années. Fuyant ainsi effectivement la production des Nouveaux Films d’Evangelion et laissant son studio à la dérive sans capitaine. Sacré constat d’échec quand on sait qu’il avait fait de « Je ne dois pas fuir ! » le leitmotiv de la série pour se rappeler qu’il ne devait pas fuir ses responsabilités de réalisateur comme il l’avait fait sur Nadia.
Il sortira de cette dépression en travaillant que les courts-métrages Japan Animator Expo et en prenant ses distances avec Evangelion en acceptant, sur les conseils de ses proches, la proposition de réaliser un Godzilla. Et je ne peux commenter la suite, car comme une majorité des personnes sur ce forum je n’ai pas encore eu la possibilité de voir le dernier film mais là encore ce que l’on peut deviner à travers le renouvellement impressionnant du staff (Sadamoto et Honda ont complètement dégagé, Masayuki n’a plus qu’un rôle mineur, l’équipe créative de Gurren-Lagann a une place prépondérante aux designs et à l’animation…) laisse imaginer une production chaotique et ardue.
Alors, où est-ce que je veux en venir avec ce pavé bien trop long pour un premier poste sur un forum ? Au fait qu’Anno s’est avant tout lancé dans ce projet sans réaliser ce pour quoi il signait. D’un projet court qui aurait dû être bouclé fin 2008, il finira par avoir occupé une partie de sa vie plus longue que celle entre la diffusion de la série TV et la sortie du premier film.
C’est fascinant de voir Anno annoncer le projet en donnant l’image un créateur qui a mûri et enfin vaincu ses vieux démons pour mieux retomber dedans tête la première quelques années plus tard. Comme pour la série TV, la création de ces films est au moins aussi intéressante à suivre que ce qu’ils racontent avec leur créateur trop libre, incapable de contrôler l’ampleur de son projet, de juguler ses pulsions créatives pour devenir productif, succombant à nouveau aux même travers qu’auparavant et luttant jusqu’au bout avec lui-même pour enfin en finir pour de bon. Difficile de croire qu’il n’a fait ça que pour l’argent, si c’était le cas il aurait sûrement abandonné le navire, il est coutumier du fait, et aurait laissé un autre terminer le récit à sa place, empochant les royalties au passage. J’imagine qu’il a cherché à se prouver qu’il pouvait y arriver coûte que coûte, et il l’a fait.
Je suis convaincu qu’il était sincère à l’époque, à 46 ans, quand il parlai de vouloir redynamiser une industrie de l’animation japonaise déclinante, de créer une oeuvre qui parlerait à ce public fantasmé qu’il percevait comme soit-disant s’éloignant de l’anime comme forme d’expression artistique. Il était sans doute déjà en mode OK, boomer et se voyait pourfendant les hordes d’anime moe qui commençaient à prendre le pas sur les récits plus classiques qu’il appréciait. Mais même si son analyse était erronée, après tout l’idée que l’animation japonaise n’a plus d’avenir est une de ses marottes, mais ça n’invalide pas la démarche.
Je fantasme qu’un jour on en fasse un film, il y a tout d’un grand Scorsese dans cette histoire de génie qui n’arrive pas à échapper à lui-même, jusqu’aux conséquences imprévues comme la fin de la Gainax ou la création du plus grand film de Kaijû depuis le premier Godzilla.
J’espère vraiment qu’après ça il va se reposer et revenir pour produire les œuvres qu’il a vraiment envie de créer, et tant pis pour ce que le public en pensera. Mais j’ai peur qu’il finisse comme Georges Lucas après la seconde trilogie, qui lessivé par les critiques qu’il s’est pris et lassé de tout ça fini par ragequit et pris sa retraite après avoir vendu sa création à Disney au lieu de retourner à ses racines réalisateur de films expérimentaux maintenant qu’il en est enfin libéré. J’espère me tromper mais j’imagine qu’il va surtout devenir producteur des futures réalisations de son studio.
Sur ce, et en espérant avoir été utile, je retourne lurker jusqu’à la prochaine occasion où mon intervention pourra être pertinente 