MECHANICAL VIOLATOR HAKAIDER
Pas le titre le plus consensuel, vous en conviendrez. Le nom anglicisé complet sur la tranche du boîtier est en fait 『Mechanical Violator Hakaider: The Last Judgement』 mais notez que la version originale 『人造人間ハカイダー』 se traduirait littéralement par un bien plus banal et moins aggressif 『Android Hakaider』; c’est d’ailleurs le même 人造人間 jinzō ningen employé en version originale pour les androïdes C17 et C18 de l’arc Trunks de Dragon Ball. Voilà pour l’introduction étymologique.
Mechanical Violator Hakaider est au départ un film de 1995 mettant en scène l’éponyme Hakaider, un androïde assassin connu d’une certaine génération de Japonais pour être le grand rival, tantôt ennemi tantôt allié, du héros bi-goût Kikaider dans Jinzō Ningen Kikaider, série télévisée populaire des années ‘70 conçue par Ishinomori Shōtarō, également créateur (entre moult autres choses) de Kamen Rider et des Super Sentai.
Une vingtaine d’années plus tard, les adultes ayant grandi avec la série ont évidemment moins d’atomes crochus avec le gentillet protagoniste Kikaider et d’avantage avec l’anti-héros ténébreux Hakaider, tout sapé en noir et grincheux comme n’importe quel personnage populaire des années ‘90. D’où l’idée de faire un film centré sur sa personne et très fortement inspiré par Terminator 2: Judgement Day (1991), gros carton au Japon comme partout ailleurs – c’était déjà la principale inspiration de l’arc « Trunks contre les androïdes » mentionné précédemment.
Mechanical Violator Hakaider – qu’on trouve facilement sur une célèbre plateforme de partage de vidéos si l’on est curieux – se déroule dans un futur lointain et post-apocalyptique. Quelque part près de la Méditerranée, une tribu de pillards profane un vieux mausolée pour y trouver quelconque trésor et tombe nez-à-nez avec Hakaider, enchaîné là depuis des plombes et amnésique.
Hakaider se réveille, se libère, défouraille les pauvres bandits (aucune suggestion de viol mécanique heureusement) et enfourche sa moto en direction de JESUS TOWN, la mégapole babylonienne du coin fortement inspirée par Jérusalem, pour aller foutre le souk dans le Souk, essayer de se rappeler son passé et surtout retrouver qui mérite un bon coup de pied au derche pour l’avoir enfermé tout ce temps dans le mausolée.
Le reste du scénario implique un gouvernement local pieux et ultra-autoritaire, qui maintient la loi et l’ordre à JESUS TOWN avec une application stricte de la religion et une utilisation débridée de la lobotomie, auquel s’oppose évidemment un groupe de résistants / terroristes épris de liberté, de démocratie et de libre-arbitre. Hakaider tente d’abord vainement une fin Neutral mais finira sans grande surprise par rejoindre le camp des insurgés. Dans la scène climatique du film, Hakaider se bat contre un androïde angélique surpuissant nommé Michael – les paraboles sont fort subtiles.
Une description très généreuse serait de dire que le film est un peu un mélange entre Kamen Rider, Terminator 2 et Shin Megami Tensei. Le résultat n’est évidemment pas à la hauteur d’un tel cocktail mais le film reste un honnête divertissement avec quelques bonnes idées visuelles et clairement conçu avec une volonté de bien faire.
Le réalisateur du film est un autre type assez notoire de la pop culture japonaise récente, Amemiya Keita. Pas spécialement cinéaste de formation, Amemiya est surtout connu pour être le character designer et papa d’univers tokusatsu tels que Kamen Rider Black, GARO, Winspector, Iria et bien d’autres. C’est un peu le mec qui a rendu le tokusatsu plus edgy ; un bon parallèle serait la façon dont Frank Miller a totalement transformé l’univers et la personnalité de Batman dans les années '80.
Amemiya s’est également distingué dans le jeu vidéo. Vous reconnaîtrez notamment son style au charadesign du captivant (mais infernalement difficile) Hagane sur Super Famicom ; on lui doit aussi quelques démons (plus ou moins réussis) de Shin Megami Tensei IV et une collaboration sur Final Fantasy XIV, par exemple.
Vous l’aviez peut-être deviné (ou cherché tout seul depuis) mais – dans le contexte de ce topic – Amemiya Keita est aussi et surtout le directeur artistique, réalisateur des cinématiques et scénariste de Nanatsu Kaze no Shima Monogatari, possiblement son œuvre la plus personnelle.
J’avais mentionné tantôt que le public de la Saturn attendait un RPG hardcore de la part d’Enix, ce qui avait contribué à une réception commerciale assez tiède du jeu. Un détail que j’avais quelque peu peu sournoisement omis dans mon explication, histoire de garder du biscuit pour aujourd’hui, c’est que l’implication d’Amemiya avait d’autant plus induit le public en erreur. Les fans du bonhomme s’attendaient à un truc typique du mec qui avait rendu les séries TV pour enfants plus dark et edgy ; mais ce n’est pas du tout ce qu’il avait en tête avec un conte pour enfants certes saupoudré de termes un peu plus sombres et malaisants, mais loin de la violence frontale et du métal organique d’un Hagane.
Aucun malentendu du même genre dans le film Hakaider. C’est sombre, pessimiste et ultra-violent. En plus de réaliser le long-métrage, Amemiya s’est aussi occupé des designs des armures et des costumes des différents personnages, qui sont globalement excellents dans leur genre.
Il se trouve que Sega a co-produit le film, dans la même mouvance d’investissements qui les avait vu miser des ronds dans Blue Seed, Evangelion, Utena ou RayEarth. Le fils du patron (et futur fondateur de Marvelous), Nakayama Haruki, est l’un des producteurs du fim. Sega a donc récupéré les droits d’une adaptation vidéoludique dans le deal, et Mechanical Violator Hakaider: The Last Judgement est ainsi sorti sur Saturn en décembre 1996.
Le scénario du jeu et les personnages ont une fois encore été sous la responsabilité d’Amemiya Keita, qui aura donc bizarrement été impliqué consécutivement sur deux exclusivités Saturn de fin d’année (Hakaider en 1996, Nanatsu Kaze en 1997). Le développement à proprement parler est l’œuvre de Japan Media Programming, studio de l’ombre ayant fréquemment collaboré avec Sega sur des projets de ce calibre pour la Saturn.
Sans que je sache si le genre choisi est une idée originale des développeurs ou une décision stratégique de Sega pour soutenir un périphérique populaire de la console, Mechanical Violator Hakaider: The Last Judgement est un jeu de tir au pistolet façon Virtua Cop, compatible avec le Virtua Gun (ou la souris).
Mais contrairement à la plupart de ses homologues, Hakaider ne vient pas de l’arcade et se permet donc quelques idées originales. Le jeu se focalise d’avantage sur le scénario et les personnages, et il introduit des éléments de RPG avec des phases d’exploration par étapes proches d’un Dungeon Explorer, les déplacements étant décidés par des icônes validées à coup de feu (ou de clic de souris). La bande-son du jeu est également assez atypique, en témoigne le thème du menu de sauvegarde :
Le scénario du jeu n’est pas une adaptation du film Hakaider mais une suite directe se déroulant une grosse décennie plus tard et mettant en scène de nouveaux antagonistes. C’est d’ailleurs à se demander s’il ne s’agit pas d’un scénario conçu au départ par Amemiya pour un second long-métrage. Il y a en outre bien d’avantage de références à la série TV originale Jinzō Ningen Kikaider dans le scénario du jeu, (j’imagine) pour la plus grande joie des fans. Je ne saurais trop comment justifier le sous-titre The Last Judgement, mis à part sa raisonnance biblique et sans doute un énième écho à Terminator 2: Judgement Day.
Ce serait forcer le bouchon un peu loin que d’appeler ce Mechanical Violator Hakaider: The Last Judgment une perle injustement méconnue de la Saturn, mais je trouve malgré tout le jeu assez sous-estimé. Il rentre dans la même catégorie que des titres comme Horned Owl ou Elemental Gearbolt sur PlayStation, ces prods originales qui ont essayé d’appliquer une logique un poil plus moderne de game design « console » sur un genre viscéralement ancré dans l’arcade.