Vidéo très intéressante de France Cul sur la disparition des couleurs contrastées au cinoche (et dans la pub)
Avec transition : j’ai vu hier, exactement comme on se mettrait volontairement sur la trajectoire d’une balle perdue, Knights of the Zodiac.
Ecoutez je vais être franc, j’y suis allé pour les meilleures raisons possibles :
- Je suis un indécrottable nostalgique de Saint Seiya, mais je savais que je verrais « autre chose »
- Je ne pouvais décemment pas rater un film diffusé seulement dans deux salles la semaine de sa sortie
- J’ai vu Super Mario Bros., Mortal Kombat et Dragon Ball Evolution, quand on est un esthète on ne peut pas renier les petits plaisirs de la vie.
Eh bien ma foi, le résultat fut au-delà de mes espérances. C’est nul, mais vraiment nul. Pas un peu nul, non, vraiment, vraiment, vraiment très nul, le genre de résultat qui demande une planification, une coordination et une abnégation admirables. Le long-métrage échoue méthodiquement à être une bonne adaptation, un bon film, un bon divertissement, et même, et c’est ma seule vraie déception, un bon nanar.
Pour contexte, remettons la bande-annonce, il n’y a même pas besoin d’appuyer sur le bouton lecture pour sentir le cosmos du malaise.
Il faut d’abord commencer par saluer ce qui fonctionne :
Passons désormais au reste.
Non blague à part, j’ai apprécié l’intro, qui est du niveau de Super Mario Bros. 1993 sur l’échelle du malentendu cosmique et du wtf involontairement hilarant ; et le moment où l’on comprend, ou disons, que s’officialise que « random type ténébreux » est Ikki, et disons que la surprise tient moins du « ah ha, c’est bien lui ! » que du « ah c’est marrant, d’un coup vous vous rappelez du matos d’origine et arrêtez d’inventer des persos sortis de nulle part ? »
Pour le reste, il est évident que la meilleure partie du film sera son making off, et j’espère qu’il répondra à cette question centrale : à quel moment quelqu’un s’est dit que faire adapter par des Américains, en 2023, une licence mourante, en suivant le cahier des charges de tout ce qu’il ne faut pas faire et que plus personne ne fait depuis une bonne dizaine d’années, était une bonne idée ?
C’est fabuleux, parce que c’est une origin story à laquelle personne ne croit et dont personne n’a rien à foutre ; le film décide d’adapter les quatre fucking premiers épisodes de l’animé, et encore, en s’éternisant sur les trucs les plus osef genre l’entraînement de Seiya en Grèce et la vie de Sayori Senna dans son palais. Le malentendu va jusqu’à essayer de faire croire que Cassios est un perso important (il est épouvantable tout le film), et d’inventer un arc narratif pété sur une guerre entre les parents adoptifs de la réincarnation d’Athena, qui fait des crises de cosmos qui ont foutu en l’air leur couple et depuis papa est parti avec elle et il a fait installer un système domotique 3.0 qui fait que quand bébé Athena fait une crise de cosmos les stores de la villa se ferment.
Je vais réécrire cette phrase parce que je n’y crois toujours pas complètement.
Le père adoptif de Saori a fait installer un fucking système domotique 3.0 qui fait que quand bébé Athena fait une crise de cosmos les fucking stores de la villa descendent automatiquement.
C’est incroyable.
Pour le reste, c’est un film américain, donc dès la première scène il y a des flingues, des hélicoptères qui explosent, des scènes de baston façon Matrix et personne ne comprend pourquoi ni si on est dans la bonne salle. Même les black knights n’en sont plus, c’est des espèces de cyborgs, je ne sais pas à quel moment les types se sont dit « oh wow un manga basé sur la mythologie grecque, vite, rajoutons des armes et des cyborgs c’est raccord ».
Je pourrais râler sur le fait qu’il n’y a absolument aucune cohérence spatiale ou temporelle - l’intro semble se dérouler aux Etats-Unis, à Gotham City, puis un hélicoptère cargo magique dépose Seiya dans ce qui semble être la Grèce, mais les gentils et les vilains passent leur temps à se téléporter de l’un à l’autre sans qu’on comprenne jamais comment - non pas que la cohérence temporelle soit la qualité première du média d’origine, certes, mais il y avait peut-être d’autres priorités en termes de fidélité à la licence.
Et puis, il y a le malentendu incroyable, fabuleux, génial : les armures. Premier problème : elles semblent avoir designées par un type qui a fait une recherche Google Images sur « chevalier » mais a oublié de mettre « du Zodiaque ». Résultat, on a l’impression de voir des personnages de Game of Thrones qui dégagent du cosmos, c’est n’importe quoi. Ensuite, on ne les voit jamais, ou presque, ou mal, et c’est quand même rater l’éléphant dans la pièce que de ne pas comprendre que les armures sont au centre du fandom Saint Seiya, qui est quand même surtout constitué d’un parterre de quadras fétichistes collectionneurs. Et puis il y a le drame de l’effet Transformers. Une licence pour enfant colorée, qui a laissé des souvenirs aussi biens rétiniens que tactiles - le toucher de ces petits bouts de plastiques brillants qui s’emboitent, avant que la peinture ne s’écaille, ce truc extrêmement matériel, ce caviar pour les doigts boudinés, voilà que ça devient d’insipides CGI qui semblent dénuées de toute existence, toute épaisseur, toute matérialité.
Et puis les assassins ont poussé le crime jusqu’à se dire : « Vous savez ce qui est vraiment bien dans le cinéma des 20 dernières années et qui manque à Saint Seiya ? Une colorimétrie de merde ! » C’est atroce, du jaune sepia pendant un tiers du film, puis des teintes désaturées, la Grèce est jaune et grise, en plus de n’avoir aucune forme les armures n’ont aucune couleur, on ne sait même plus qui est qui, et puis c’est complètement risible, les combats ressemblent à du super sentai avec un filtre Black Hawk Down, c’est de l’assassinat au carré, je ne veux pas croire que la personne qui ait fait ça ne se soit pas demandé « ok je peux rater cette adaptation, facile, mais comment je peux faire pour la rater de manière à ce que personne, jamais, ne parvienne à faire pire ? ». C’est démoniaque.
Voilà, ce petit bonbon dure la bagatelle de deux heures, c’est interminable, douloureux, même pas aussi drôle que ça aurait mérité d’être, et chose rare, je n’ai pas réussi à tenir jusqu’à la fin du générique pour voir s’ils annonçaient la suite - le projet est censé intégrer six films, je ne sais même pas comment ils vont rentrer dans les frais de l’écran-titre, on était sept dans la salles un dimanche première semaine d’exploitation.
Voilà, c’était ma contribution au rebond économique des salles françaises, et en cela au moins c’était cohérent avec Saint Seiya : j’ai vraiment vécu deux heures sacrificielles, et n’ait jamais autant partagé l’envie de Shiryu de se foutre les deux doigts dans les yeux.