J’ai un peu eu de temps j’ai pris du retard sur mille projets pour mater des séries.
Westworld S1. Je l’avais déjà vue, je l’ai revue, c’est toujours « Et si on imaginait un MMORPG du futur dont les PNJ, prenant conscience qu’ils sont des PNJ, deviennent les héros et se vengent des joueurs » et c’est une masterclass de bout en bout. Le casting est incroyable, le pitch super malin, la construction narrative bien pensée et maîtrisée, et les compos de Ramin Djawadi imparables de bout en bout. C’est difficile de retenir un truc en particulier tant tout y est à peu près parfait mais Ed Harris en visiteur-cowboy cynique et haïssable, James Marsden en poupée Ken d’une éternelle candeur, Anthony Hopkins en vieux game designer philosophe, humaniste et calculateur, et bien sûr la candeur éthérée d’Evan Rachel Wood, tous sont brillants. Je pourrais me la regarder une troisième fois.
Westworld S2. Je les sépare, parce qu’une fois la S1 finie, le côté clos, autocontenu et magistralement maîtrisé de la série s’effondre subitement. Ca devient dans cette S2 du more of the same en plus noir et désespéré, la prise de conscience de la S1, et son sous-texte métaphysique, laissant davantage place à un récit de vengeance un peu plus bas du front, et surtout, bien plus étiré. La saison aurait pu et dû tenir en trois épisodes, tout l’arc narratif des samouraïs est franchement dispensable, ça donne vraiment juste l’impression qu’ils ont essayé de changer les décors et de monter la difficulté sans rien changer au reste. Heureusement, les hésitations de Jeffrey Wright (Bernard), personnage biclassé pro-humains et pro-hôtes artificiels, et la rage libératrice de Thandiwe Newton, l’ex-robot maquerelle devenue deus ex machina, apportent un peu de piment à ces dix épisodes pour le reste assez plan-plan.
Westworld S3. J’apprécie l’audace de renverser complètement la table à thé de A à Z, en inscrivant entièrement cette nouvelle saison dans un cadre cyberpunk en rupture avec les univers nostalgiques de départ. C’est également un gros, gros coup de balai dans le casting, avec l’arrivée de Vincent Cassel en cerveau mégalomane et d’Aaron Paul en ex-soldat victime de PTSD pris dans l’engrenage d’un combat contre une entité informatique quasi-divine qui, par la grâce du big data et de plein de machins très Black Mirror, définit l’avenir de chaque personne. C’est un gros renversement, soudain les humains deviennent les créatures d’un code, c’est pas mal vu comme pied de côté, même si les coutures entre le pitch de départ et le nouveau sentent pas mal le raccroc. C’est aussi le moment de la série où les règles de bases de l’univers changent d’un grand coup de TGCM : les hôtes deviennent invincibles parce que why not, ils peuvent quand même mourir mais revenir l’épisode suivant en trois plans de « regardez on l’a refait grâce à nos machines du futur de la TGCM Company », et quand les humains meurent ça devient des hôtes aussi donc yolo, la seule chose à comprendre à la fin c’est qu’il n’y a rien à comprendre et que les acteurs sont assurés de toucher leur cachet jusqu’à la fin de la série même si leur perso meurt 48 fois par scène. Ca commence petit à petit à se transformer en Bip bip & le coyote dans le monde de Blade Runner, et c’est un peu grotesque.
Westworld S4. La dernière saison en date, avant une très hypothétique saison 5 qui clôturerait définitivement la série. Ecoutez c’est fou, mais je l’ai déjà complètement oubliée. C’est une sorte de mélange fourre-tout des trois saisons précédentes, avec un cadre qui commence à virer au post-apo, entre Mad Max et le film de zombies, selon les scènes, avec des pointes de Truman Show. En fait, le scénario commence à ressembler méchamment à du Assassin’s Creed et c’est pas un compliment : on découvre que l’héroïne, Dolores l’androïde fille de fermier fleur bleu qui s’élève à la conscience, qui a déjà changé quinze fois de look, d’alignement et de persona depuis le début de la série, est désormais scénariste dans une boîte de jeu vidéo qui fait de la réalité virtuelle/augmentée/en MMORPG/whatever. A ce stade on avait déjà compris qu’il n’y avait plus aucune règle logique dans la série, on franchit un stade supplémentaire dans le grand n’importe quoi (il y aura bien une tentative scénaristique de raccrochage aux branches, mais meh). Heureusement, l’arc narratif d’Aaron Paul/Caleb en ex-soldat devenu papa et obsédé à l’idée de protéger sa fille, est assez cool, même s’il faut du temps pour que son arc décolle. Globalement c’est du grand n’importe quoi toujours mais Westworld renoue avec certaines audaces dans la construction narrative, ce qui sauve cette S4 du néant absolu. La S5 devrait être un retour aux sources, mais, franchement, si j’ai un conseil à vous donner et un seul, matez quatre fois la première saison plutôt que de vous infliger les trois dernières.
Tokyo Vice. Adapté du roman autobiographique à succès éponyme, signé de Jake Adelstein, journaliste américain qui pour le compte du Yomiuri shinbun, a infiltré le monde du crime organisé au Japon. C’est, très, très bien. J’ai juste un peu honte de ne pas pouvoir le comparer avec le bouquin, qu’on m’a offert et qui traîne depuis deux ans au 827e étage de ma pile de livres à lire. Je ne sais pas comment un étranger vivant au Japon appréciera la série, mais de mon point de vue d’étranger qui n’y vit pas, je pense qu’il trouve un assez bon équilibre entre ce qu’il lui faut montrer pour plaire à un public occidental (plus précisément, un public HBO, ce qui inclut donc un certain nombre de gros plans pas forcément nécessaires sur des fesses tatouées en plein ébats) et ce que l’on peut espérer d’authenticité (la majorité du casting est japonais, de stars comme Ken Watanabe à des révélations comme l’incroyable scene stealer Show Kasamatsu), une bonne moitié des dialogues sont en japonais, et même les scènes en anglais ne cherchent pas à traduire certains termes typiques (aniki, oyabun, etc.). Point topic Pivot : c’est même assez marrant de voir nombre de scènes commencer par une explication entre les deux persos à l’écran pour savoir dans quelle langue ils vont s’exprimer (bon, c’est quand même un monde où des yakuzas vachement prévenants insistent pour parler en anglais avec le gaijin qui écrit sur leur gueule, c’est crédibloumoyen). Mais à l’inverse, les deux stars blanches du film, Ansel Elgort et Rachel Keller, sont franchement épatants quand ils parlent japonais. En tout cas j’ai pas le niveau pour déceler s’ils font des fautes en parlant, je signerais tout de suite pour être aussi fluent qu’eux.
Concernant la série elle-même, c’est une première saison de huit épisodes, qui ne se conclue sur rien (j’ai d’ailleurs cru qu’un neuvième épisode allait arriver, mais non), mais offre une plongée subtile et stimulante au sein de la pègre, de la police et de la presse japonaise des années 1990, et de leurs liens entre eux, entre petits arrangements, copineries, chantages et règlements de compte, et l’équilibre s’y montre sous un jour très politique. Au milieu de tout ça, Jake Adlestein, joué par l’éternel visage de minot d’Ansel Elgort, est ce journaliste gaijin à la fois superbe, imprévisible, ambitieux, téméraire et inconséquent, qui semble presque flotter, tant il est léger, presque comique, au milieu d’un monde sévère et glauque. D’une manière générale, j’aime énormément Elgort et ai même revu mon chouchou Baby Driver entre deux épisodes, mais je pense que sa flamboyance un peu adolescente le dessert ici, à tel point que plus la série avance, plus il devient évident qu’il n’est qu’un personnage parmi d’autres, souvent plus forts et plus fascinants, entre Ken Watanabe en inspecteur incorruptible dans un monde trop corrompu pour lui ; Rachel Keller/Samantha en hôtesse au passé mystérieux et à la détermination et la fierté farouches, et, surtout, la grande révélation de la série, Show Kasamatsu, sorte de contrepoint japonais à Elgort avec son visage poupin sur un corps trop grand pour lui, qui joue un jeune yakuza débutant, à la fois taiseux, désinvolte et tourmenté, pris entre son sentimentalisme, l’intuition de ne pas être à sa place dans le monde de la pègre et le confort et l’aura qu’il y trouve. C’est simple, il a de loin l’arc le plus intéressant et le mieux écrit, en plus d’une présence d’un magnétisme fou.
Pour le reste, c’est impeccablement filmé, les lumières sont superbes, l’écriture pleine d’ellipses très élégante, toute la galerie de personnages est impressionnante de force de caractère (au passage, on sent que la représentation et l’écriture des personnages féminins ont été très pensées, et je ne serais pas étonné d’apprendre qu’il y a eu pas mal de libertés prises par rapport au bouquin pour donner à la série une tonalité féministe affirmée).
Tl;dr : c’est très bien.