Un peu au débotté et en espérant vainement réconforter une jolie Chilienne à la sortie de la séance, je suis allé voir 1976, un film sur le Chili de la dictature Pinochet (1973-1990) qui était passé à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes cette année.
C’est l’histoire d’une bourgeoise cinquantenaire névrosée qui se retrouve, alors qu’elle chapeaute la construction d’une luxueuse maison de vacances en bords de mer avec le fric de son mari chirurgien, à soigner un jeune membre de la résistance socialiste planqué par un curé du bled balnéaire.
Le film a des défauts mais je le conseille sans réserve, à part que c’est pas le top du fun rigolo évidemment.
Sans trop en dire, 1976 retranscrit très habilement la paranoïa ambiante d’un pays cadenassé et terrifié par la Junte Militaire, sans jamais trop confirmer les soupçons du spectateur, qui devra se faire ses propres opinions sur un paquet de détails vicieux. Est-ce que l’héroïne en a trop dit dans cette conversation ? Ce mec dans la rue est-il en train de la suivre ? Le voisin prévenant est-il un membre de la police secrète ? Est-ce que le téléphone déconne parce qu’on est dans un petit relais PTT de village ou parce que la police vous écoute ? C’est la psychose silencieuse permanente.
Intrigué simplement par le contexte géopolitique et historique, je ne m’étais pas vraiment renseigné sur le film mais j’aurais sans problème pu vous dire au simple visionnage que c’est l’œuvre d’une réalisatrice, tant le film est focalisé sur les points de vue de femmes de différents âges et statuts sociaux, avec plein de petits rôles féminins naviguant tant bien que mal dans un enfer patriarcal où chaque homme peut cacher un ennemi, et avec des tonnes de petits détails visuels et de commentaires qu’un mec n’aurait probablement jamais eu la présence d’esprit de rajouter.
C’est d’ailleurs le premier film de Manuela Martelli, auparavant une jeune actrice populaire à la télévision chilienne, ce qui me fait trouver le résultat assez épatant et excuser quelques travers. Mon principal reproche est qu’on ne creuse finalement pas trop la personnalité de cette héroïne ni pourquoi elle s’embarque dans cette galère. Mon principal regret est que chaque scène du film semble fourmiller de détails et références qui feront uniquement tiquer les Chiliens et/ou experts de cette période sombre de l’Histoire Sud-Am, et évidemment c’est moins sympa de regarder tout ça sans avoir son permis.
On découvre d’ailleurs avec le générique de fin que non seulement la réalisatrice mais littéralement tout le staff du film est féminin et sud-américain, ce qui doit encore être assez rare (?) et rajoute du coup une lecture crypto-féministe au film qui me donnerait bien envie de le mater une seconde fois à l’occasion.
Les deux grandes qualités du film sont la photo de Soledad Rodríguez avec une utilisation des couleurs mémorable et hautement symbolique, et surtout la bande-son incroyable de Mariá Portugal, batteuse et percussioniste qui mélange dans ce film les sons naturels et industriels du décor avec une musique extradiégétique hypnotique et étouffante, faisant beaucoup pour préserver le sentiment d’oppression permanent et soupçonner le moindre figurant. Ma véritable révélation du film. Je ne trouve pas de pistes de la B.O. sur Internet mais on entend mieux son taf dans cette autre bande-annonce.