Je ne sais pas si @Iggy continue de bosser son MLPT3 de Khalkha mais je peux éventuellement lui conseiller Under the Turquoise Sky alias ターコイズの空の下で alias Номин тэнгэрийн хязгаарт, que j’ai vu il y a quelques jours.
C’est un film japonais « sorti » en 2021, dans les limites actuelles de l’exercice, et cofinancé par des boîtes françaises et mongoles, la majeure partie de l’intrigue étant un road trip dans les steppes de Mongolie. Désolé pour la bande annonce internationale, un peu moisie comme toujours pour ne pas trop effrayer les acheteurs anglo-saxons avec des trucs insensés du genre « des dialogues », mais je ne trouve que cette version. Mention spéciale à l’utilisation complètement claquée du prélude de Bach alors que le morceau est utilisé ironiquement dans une scène mineure du film.
Un patriarche japonais richissime sent qu’il va bientôt claboter et son dernier souhait est de pouvoir parler à sa fille illégitime, née d’une romance fugace avec une fermière mongole pendant la seconde guerre mondiale. Il recrute opportunément un immigré mongol qui avait essayé de voler un cheval dans son ranch et lui intime d’escorter son petit-fils, un bon à rien qui a vécu ses trente premières années les pieds en éventail dans l’opulence familiale, pour la retrouver. Le duo loufoque s’envole donc pour la Mongolie, et va enchaîner galères et désillusions à la recherche de la bonne dame.
C’est un premier film, par un Japonais qui semble avoir vécu un peu partout et parler trois ou quatre langues. Je le précise car il y a une véritable sensibilité multi-culturelle dans l’objet. On n’évite pas le côté carte postale, évidemment, et l’aspect « trip mystique retour à la nature chez ces braves Mongols qui ont su rester simples » inévitable avec ce genre de proposition pseudo-touristique pourra agacer les plus cyniques, mais on sent un véritable souci d’équité entre les cultures et les points de vue. Les deux pieds nickelés de l’aventure sont des cons mais chacun à leur façon, et le film ne commet jamais l’impair d’infiltrer des personnages ou situations japanophones inexplicables dans la cambrousse mongole.
C’est d’ailleurs la grande qualité du script : le protagoniste japonais ne piffre évidemment pas un mot de mongol, son compère mongol ne parle ni japonais ni anglais, et les deux sont donc proprement incapables de communiquer verbalement. Le scénario a l’intelligence (ou l’insouciance ?) de ne jamais résoudre ce problème et donc d’obliger les deux zouaves à communiquer visuellement et physiquement, tout en offrant bien plus de contexte aux spectateurs puisque les dialogues mongols sont sous-titrés. On s’approche donc du cinéma muet sur certains sketches, avec quelques références évidentes et même assumées aux grands classiques (Laurel & Hardy notamment). Ceci mis à part, l’intrigue est cousue de fil blanc.
Le côté « premier film » se ressent aussi dans la mise en scène qui souffre sans surprise du classique « je veux montrer tout ce que je peux faire » façon jeune diplômé de la FEMIS, ce que j’excuse volontiers d’autant que certaines scènes sont visuellement vraiment chouettes, et que le réalisateur a un talent manifeste pour le cadrage de ses scènes. Le film a aussi le bon goût d’être bouclé en 100 minutes, peut-être grâce à des producteurs vigilants.
J’ai surtout été marqué par la photo exceptionnelle – à tel point que j’ai noté le nom du DP, Ivan Kovác, un Australien basé au Japon. Difficile de juger si les décors naturels époustouflants du film ont rendu sa tâche plus facile. On ne saura pas non plus si c’est le réalisateur Kentaro qui a eu l’idée des plans National Geographic qui font respirer le film, et que son DP s’est ensuite cassé le cul à les chercher dans la pampa, ou si Kovác a filmé tout ce qui lui tombait sous la main en mode touriste et qu’ils ont pioché dedans au montage. Dans tous les cas, l’ambiance naturaliste et les couleurs hallucinantes de certains plans donnent furieusement envie de prendre un vol direct pour Ulaanbaatar.
Les tronches du casting font également le taf question dépaysement, avec d’ailleurs une jolie variété démographique pour représenter le peuple mongol. Le voleur de chevaux est interprété par une célébrité locale du film d’action, Amarsaikhan Baljinnyam, qui est un peu le Jason Statham du bled et manifestement pas du tout habitué à ce genre de rôle dramatique, mais il s’en sort très bien. Je suis moins convaincu par Yagira Yūya, qui avait explosé pour son premier rôle à l’écran dans Nobody Knows / 誰も知らない de Kore-eda, mais dont la célébrité précoce lui a malheureusement causé de se perdre dans la médiocrité du jeu d’acteur moderne de drama japonais. En espérant qu’Under the Turquoise Sky ait le même impact salvateur sur lui que sur son personnage…