J’ai passé un « bon » moment avec cette émission qui nous présente un manga injustement méconnu des années 80, The Rapeman, de Miyawaki Shintarô (et une scénariste fantôme sans doute créditée pour sauver les apparences), publié de 1985 à 1992 (+ une brève reprise en 2000).
Un prof de lycée timide et binoclard le jour devient un justicier masqué un peu particulier la nuit, payé pour violer des jeunes femmes pour le compte de clients que lui ramène son « agent » (par ailleurs agent immobilier dans le civil, on est bien dans la bubble economy des 80’s).
Evidemment, qui dit justicier dit « morale »: épouses vénales ou volages, ou au contraire trop frigides, voire déçues de leur mari trop possessif au point de se redécouvrir lesbiennes, employées insolentes ou ambitieuses qu’il faut remettre à leur place (i.e. servir le thé pour leur Shima Kôsaku - Chef de Section local), c’est pour leur bien que Rapeman se démène. D’ailleurs, en vrai gentleman il met un point d’honneur à leur apporter du plaisir, ce qui leur permet généralement de redécouvrir, passé ce petit moment difficile du viol, à quel point il est bon d’être une vraie femme soumise à la puissance phallique du mâle.
J’aimerais vous dire, à l’instar de la tentative un peu désespérée de la page Wikipedia anglophone qui traite surtout des films tirés de la série de manga (13 volumes mine de rien, + 1 OAV et 10 (!) films live dont un réalisé par Jissôji Akio, l’idole d’Anno Hideaki), que Rapeman est une œuvre satyrique à ranger dans la catégorie humour noir façon ero-guro nonsense, mais la lecture de quelques chapitres et la vidéo ci-dessus me laissent penser que dans la tête de l’auteur de ce gekiga à la forme assez classique, c’est largement le premier degré qui domine, malgré une volonté manifeste d’en rajouter un peu sur la prémisse outrancière pour arguer de la caricature au besoin.
Le premier chapitre donne le ton: l’épouse yakuza qui s’entend mal avec sa sainte-nitouche de belle-fille née d’un précédent mariage, et qui commande donc un petit viol à Rapeman histoire de la décoincer et de se rapprocher d’elle ( « oui je comprends c’était une expérience difficile, mais enfin à toi d’en faire quelque chose de positif, prends-toi en main ma petite chérie! Mais viens je t’emmène d’abord à l’hôpital, manquerait plus qu’il t’ai mise en cloque ce sagouin! ».)
Un violeur que la jeune fille croisera d’ailleurs le lendemain incognito dans les couloirs du lycée où il est prof et elle élève.
Dans sa vidéo ci-dessus, Yamada fait une micro-généalogie du manga érotique/porno, avec ce passage d’une pornographie « de combat » des années 70 dans un contexte de libération sexuelle à conquérir, à celle des années 80 et suivantes, qui voit la représentation pornographique des femmes les réifier dans des scénarios toujours plus dégradants à la mesure de la montée du ressentiment des hommes contre leur émancipation et de la lente érosion de « l’autorité masculine » qu’elle entraîne.
Au 1er ou au 2e degré (si on est vraiment charitable…), ce manga est effectivement édifiant en ce qu’il offre le package complet: non seulement il trivialise le viol comme trope sur lequel on peut jouer les mêmes variations que n’importe quel thème de gekiga à épisodes façon Golgo 13 ou Tiger Mask, mais il en livre aussi, l’air de rien, le « volet théorique » avec sa glorification tous azimuts du patriarcat japonais comme remède à tout ce que ce dernier considère comme « déviant » dans le Japon des années 80-90.