C’est bien vrai, mon brave Cerberus : cela faisait longtemps qu’on attendait ce Shin Megami Tensei V, qui aura finalement été le dernier sorti de tous les jeux annoncés lors de la présentation officielle de la Nintendo Switch à Odaiba, le 13 janvier 2017. (Manque juste Steep d’Ubisoft, dont le portage a été annulé depuis.)
Presque cinq ans d’attente donc, pour un jeu à la fois très ambitieux et très bizarre, qui brise pas mal de codes structurels de la série mais pas toujours avec bonheur. J’ai plein de choses à lui reprocher, mais je le recommande quand même. Je suis partagé entre une petite déception (je préfère SMT4) et une certaine trépidation pour la suite car cet épisode pose malgré tout d’excellentes bases pour l’avenir de la série, au delà de sa réussite commerciale déjà confirmée. Mon tl;dr de SMT5, c’est vivement SMT6 !
Mais en attendant cette échéance, a fortiori si l’on doit encore se taper un quinquennat Macron avant de découvrir si fusionner la déesse japonaise des bottes de foin avec un dieu phrygien mort en se coupant les roubignoles va de nouveau permettre de récupérer la sorcière mangeuse de fœtus des Philippines, résumons en 10 points ce que SMT5 fait de bien et de… Enfin va falloir parler des donjons tout pourris, quoi.
BIEN! La nouvelle structure du jeu :
C’est toujours un RPG où l’on passe son temps à affronter, recruter et fusionner des monstres (ou plus exactement des démons issus de diverses mythologies et légendes urbaines), à la façon de ce que démocratisera plus tard Pokémon, avec une vague excuse scénaristique pour justifier le safari dans un Tokyo post-apo. Les combats utilisent toujours l’excellent système Press Turn qu’Atlus nous réchauffe dans ses jeux depuis SMT3 (2003), avec deux, trois détails qui en font sans doute la meilleure version du système.
Ce qui change, c’est qu’on visite désormais de grandes zones d’exploration, dans un style finalement assez proche de Xenoblade puisque les différents quartiers en ruine de Tokyo ont un véritable level design qu’il va falloir dompter avec parfois de pures séquences de plate-forme 3D, et bien sûr des bidules à collectionner comme dans le premier Banjo & Kazooie venu. Rajouté au contexte des immeubles dévastés, on a souvent l’impression de faire de l’urbex, dans des décors moins vides que Death Stranding. Ces phases sont étonnamment sympas, les zones d’exploration vont en s’améliorant au fil du jeu et, en plus, on voit les démons (à leur bonne échelle) se balader tranquillou autour de nous, ce qui permet de les traquer ou de les éviter au besoin.
Ça me paraît une excellente direction pour la série, même si je regrette un peu qu’au final on reconnaisse assez rarement les quartiers visités quand on connaît bien Tokyo, par la faute d’une topologie complètement bazardée par le cataclysme. Les gares de SMT4 restent plus rigolotes sur ce maigre point.
PASBIEN! La nouvelle structure du scénario :
Ça commence comme d’habitude : c’est la fin du monde, on est un des rares survivants pour une raison quelconque, on doit parcourir un Tokyo dévasté que se disputent plusieurs factions de démons, et différents choix d’alignement moral vont nous faire rejoindre un des camps, pour une fin qui ne sera jamais totalement optimiste ni optimale.
L’originalité de cet épisode, c’est qu’on arrive littéralement après la guerre. Les deux factions principales sont toujours le camp de la Loi (menée par des anges judéo-chrétiens qui prônent une justice totalitaire et dictatoriale) face au camp du Chaos (principalement des démons satanistes et animistes qui prônent la liberté totale des individus mais donc aussi la loi du plus fort et l’adoption des NFT). Sauf que le Chaos prétend avoir déjà gagné. Lucifer raboule, déclare avoir tué YHVH et pige pas pourquoi les Anges refusent d’admettre leur défaite. Ceux-ci dénoncent une fake news en continuant à se battre pour leur despote déchu.
Pendant ce temps, les Démons Japonais en ont un peu ras le cul de recevoir des ordres des Démons Américains Judéo-chrétiens alors qu’ils sont chez eux, et se demandent s’ils ne devraient pas trahir le camp de la Loi avant que le camp de la Loi ne les trahissent. À côté de ça, quelques survivants humains racistes anti-démons parce qu’un démon a insulté leur sœur dans le métro, ou un truc du genre, le Grand Ramplasseman tout ça, faut tous les zigouiller. Lequel de ces trois camps allez-vous choisir ?
À ce stade, comme moi, vous surestimez sans doute un superbe terrain de jeu pour des paraboles géopolitiques assez évidentes et croustillantes, entre le complexe du Japon envers sa dépendance états-unienne après la Seconde Guerre Mondiale, la crainte bien plus actuelle d’un exode militaire américain face à l’armée chinoise, les errements du Trumpisme, ces foutus touristes et immigrés chinois qui foutent le zbeul dans nos belles villes, etc.
Malheureusement :
① C’est vraiment peu ou mal exploité, avec une auto-critique assez inexistante au delà de quelques piques superficielles et une absence de conscience politique assez gênante. J’aurais mieux apprécié que ce soit réac’ par dessein, cynique et provocateur façon Houellebecq, plutôt que le réac’ accidentel “apolitique” typique de la fiction japonaise moderne.
② Finalement le scénario part dans une direction un peu différente et se démarque de l’habituelle opposition philosophique Ordre vs. Liberté pour un inhabituel virage théologique : Monothéisme vs. Polythéisme. Je ne suis pas contre l’idée et sa différentiation avec les autres épisodes, mais c’est affreusement mal utilisé, par des gens qui manifestement ne connaissent absolument rien au sujet qu’ils abordent. C’est nuuuul mais genre nul gênant comme quand Collision parlait de racisme à Los Angeles.
BIEN! Les démons :
Jusqu’en 2020, la série SMT (et ses dépendances insignifiantes comme Persona) se tapait grosso modo les mêmes modèles et animations de démons depuis SMT3, quand elle ne recyclait pas sur consoles portables des sprites PS1 eux-mêmes retracés depuis les versions Super Famicom. Autant dire qu’il était grand temps de moderniser le casting.
Avec le passage de la série sur UE4, une grosse partie du développement a donc consisté à porter et améliorer les modèles existants, en refaire certains de zéro, convertir quelques designs jusqu’ici exclusifs aux épisodes utilisant des sprites (grosse influence artistique de Soul Hackers notamment), rajouter plein de nouvelles animations uniques pour les démons et évidemment rajouter plein de nouveaux streums.
Devant l’ampleur de la tâche, on pouvait s’attendre à moult compromis : j’étais prêt à excuser la taille réduite du bestiaire, ou le relatif manque de nouvelles têtes, ou le côté bâclé des animations. Rien de tout ça ! On sent qu’Atlus compte derechef exploiter cette nouvelle version du pokédex pour les deux ou trois prochaines générations de machines et ils ont mis le paquet sur cet aspect assez primordial du jeu. Il y a plein de démons, il y a plein de nouveaux démons cools venus de mythologies rarement exploitées dans le JV (genre l’Asie du Sud-Est), les nouveaux modèles sont pour la plupart magnifiques, les animations sont souvent remarquables et l’impact de voir tout ce peuple se balader à l’échelle dans les rues récompense tous ces efforts. Manque juste la voix d’Attenborough derrière pour nous lire la description des origines culturelles et historiques de chaque démon (dispo en texte dans les menus) pendant qu’on explore la ville.
Mais en plus, les démons sont hilarants. La plupart d’entre eux essaient de s’intégrer à Tokyo mais ne pigent pas tellement la logique de certaines infrastructures ou habitudes des Humains disparus, certains sont de vrais petits weebs de l’anthropologie et nous apprennent des trucs sur l’histoire ou l’étymologie d’un quartier, et la plupart des sous-quêtes facultatives concernent un démon “traditionnel” (souvent japonais) en conflit avec un démon (souvent immigré) dont il désapprouve les nouvelles mœurs, avec quasiment à chaque fois la possibilité de prendre parti pour le camp de son choix. Il y a aussi de chouettes références au jeu vidéo et notamment à Sega et Atlus dans certaines quêtes, discussions et descriptions d’objets, pour les connaisseurs affûtés.
Les démons brillent particulièrement lors des conversations en plein combat. Comme d’habitude, on peut engager une conversation avec un démon d’en face pour l’amadouer, le recruter, le corrompre avec des thunes, ou recevoir son aide si l’on a un démon identique dans son équipe. J’ai trouvé ces négociations moins piégeuses que d’habitude mais souvent bourrées d’humour, avec quelques réflexions sarcastiques et brisages de quatrième mur jamais gênants.
Mieux : on peut débloquer des tonnes de conversations spéciales secrètes entre certains démons (comme celle d’Hydra et Cerberus qui introduisait ce post), en fonction de leurs origines communes, d’un rapprochement possible entre leurs légendes (Hydra est très compétitif et complexé vis-à-vis des autres serpents à têtes multiples) ou même quelques références mignonnes aux anciens épisodes de la série (notamment quand Decarabia retrouve enfin Forneus, improbable pay-off d’un mème fameux de SMT3 sorti deux décennies plus tôt). Évidemment, les monstres emblématiques de la série comme Cerberus ou Mara ont droit à un traitement de faveur avec un paquet d’interactions impromptues.
Je suis même tombé sur de jolis efforts que 90% des joueurs vont louper et qui témoignent d’un véritable souci du détail chez les développeurs en charge de cet aspect du jeu. Par exemple, si on a acheté le DLC d’Artémis, on la croise assez tôt dans la partie et elle reçoit vers la fin de sa quête un appel télépathique de son papa Zeus, personnage qu’on affronte (et peut recruter) ensuite vers la fin du jeu. Eh bien, en NG+, si on refait cette quête DLC et qu’on a Zeus dans son équipe, la cinématique change et fait apparaître Zeus qui prend alors en compte le fait qu’on l’a déjà battu et change un peu son discours. C’est classe !
Ces conversations de démons sont drôles dans toutes les langues (j’ai joué une grosse dizaine d’heures en japonais et en français pour comparer les scripts) mais particulièrement en anglais. Je ne sais pas si les équipes d’Atlus USA ont été piquées au vif par les critiques concernant Persona 5 mais j’ai trouvé le script anglais assez fantastique, avec des affectations et des personnalités marquées tant par le répertoire de langage que certains choix de typographie. Bravo, du rab’ de baleine pour toutes les personnes impliquées.
PASBIEN! Les humains :
Malheureusement, ce n’est pas sur ce casting démoniaque que se concentre l’intrigue principale, et à la place, on se tape des personnages humains (ou assimilés) complètement transparents, aux motivations et retournements de veste parfois inexplicables, avec des sacrifices ou des mélodrames personnels dont on se sent complètement détaché, et une incohérence de ton aberrante. Nous embêter avec les soucis de bullying au club de lacrosse du collège alors qu’on empêche l’annihilation complète de Tokyo en pleine crise diplomatique avec les dieux égyptiens, comment dire… Tous ces persos sont nazes, mais même pas nazes genre « clichés animu pour les ados fans de Persona et d’isekai », nazes pour n’importe quel public. C’est trop stupide et pas assez divertissant, intellectuellement grotesque et émotionnellement insipide. C’est sans doute l’aspect du jeu qui déplaira au plus grand monde.
L’autre truc qui me dérange, c’est le manque d’influence de l’alignement. Le jeu gomme un « défaut » de SMT4 (qui me dérangeait pas perso) : on n’est cette fois jamais bloqué dans son alignement jusqu’au choix décisif qui survient deux, trois heures avant la fin du jeu. Une fois qu’on a choisi sa route, le jeu va juste pénaliser les joueurs inconsistants en bloquant des récompenses et quelques démons facultatifs si les réponses recueillies au cours du scénario ne collent pas avec le choix final du joueur.
Pourquoi pas, mais on est bombardé de choix qui n’ont finalement aucune influence sur les scènes, et une histoire qui change finalement très peu quelque soit la route. Pour un jeu qui a fait un gros bout de sa comm’ sur cet aspect conceptuellement fondamental de la série, c’est couillon.
BIEN! La bande-son :
Sans grande surprise mais bon. On n’atteint pas les sommets de SMT4 et Persona 5 mais c’est un mélange détonnant de nappes ambiantes, de symphonies grandiloquentes, de techno, d’indus etc. Cette B.O. s’écoutera sans doute moins souvent seule que les aînées précitées mais elle est parfaite dans le jus du jeu.
PASBIEN! Les donjons :
Megaten, c’est quand même une lignée assez exceptionnelle de donjons homériques, aux dédales parfois infernaux et aux concepts souvent mémorables. La grande cathédrale de SMT1 qui arrange ses accès en fonction de votre alignement, l’inception du Psychodiver dans l’esprit de votre meuf (SMT1), le parc d’attraction Tokyo Destinyland (SMT1), la prison qui fait marcher au plafond (SMT3), le temple rouge d’Amala (SMT3), la maison close et le supermarché de Strange Journey, les derniers donjons de SMT4 et SMT4F, le musée du dauphin de Soul Hackers etc.
Alors ! Oubliez tout ça. Déjà, il y a trois « donjons » à tout péter dans le jeu. Un seul d’entre eux pose un tant soit peu de challenge, les deux autres sont transparents, le donjon final est une plaisanterie qui exploite à peine une mécanique intéressante en théorie. C’est assez consternant, on n’est même pas au niveau d’un temple « gimmick sympathique vite oublié » à la façon des jeux Atlus récents… Une catastrophe qui du coup fait presque oublier que les vrais donjons du jeu, cette fois, sont les quartiers de Tokyo dont on ne devine pas toujours facilement la transversalité et dont on peut facilement louper quelques secrets.
BIEN! L’accessibilité et le NewGame+ :
C’est le Megaten le plus accessible de toute la série. Plein de modes de difficulté différents (on peut même baisser de difficulté à tout moment), des explications partout, un rapatriement gratos et sans conséquence vers le dernier point de sauvegarde visité d’une simple pression sur le bouton L (pouvoir qu’on débloque après le premier Boss), des points de sauvegarde qui offrent eux-mêmes un réseau de téléportation gratos, une carte super détaillée qui retient les trucs que vous avez vus, des persos qui peuvent marquer des machins cachés sur la carte contre menue monnaie… SMT5 est d’une générosité inédite pour la série, même sans passer par les DLC de triche.
Je pense que le jeu peut se boucler en 60h environ en difficulté Normal, à moins d’essayer de choper la « vraie » fin neutre du premier coup, ce qui impose tout de même d’aller buter un ennemi niveau 96 (alors que le dernier Boss est, genre, niveau 80). Mais je suis du style à passer des heures dans la salle de fusion des démons pour optimiser et customiser mes équipes comme un Jaki, et il m’a donc personnellement fallu un poil moins de 120h pour voir les quatre fins (en difficulté Normal) et compléter le Pokédex compendium des démons.
Le NewGame+ n’a lui aussi jamais été aussi généreux : on a le choix de ramener le compendium ou carrément tous ses monstres et son niveau d’expérience précédent, auquel cas les fins suivantes peuvent se boucler en 4~5 heures chacune. Je ne peux pas vous promettre que les fins soient extrêmement intéressantes dans leur variété ; seule la fin cachée rajoute vraiment un peu de biscuit.
BIEN? PASBIEN? C’est trop pété :
En fait, je crois même que le jeu est trop généreux avec le joueur. Depuis la génération DS, on peut choisir de quels pouvoirs hérite un démon après fusion. Avec l’arrivée de traits héréditaires qui éliminent les faiblesses élémentaires, on peut jouer au petit chimiste et prévoir deux ou trois fusions à l’avance des builds de démons absolument invincibles.
Par dessus cette astuce complaisante, SMT5 a rajouté un nouveau système d’essence qui permet de donner les pouvoirs d’un démon à un autre démon (ou au protagoniste) sans rien fusionner. Et le protagoniste peut même utiliser ces essences pour changer ses résistances et faiblesses (comme les magatama de SMT3). Autant dire que c’est Byzance juste avant d’affronter un Boss incompatible avec nos aptitudes du moment. J’aime bien l’idée mais faudrait sans doute calmer le jeu en forçant à sacrifier un démon pour récupérer son essence, ne pas autoriser à avoir un démon et son essence dans la poche simultanément, voire peut-être circonscrire l’obtention des essences avec des compatibilités d’alignement histoire que cet élément serve quand même à quelque chose.
Dernière mécanique que je trouve intéressante mais perfectible : la magatsuhi. C’est une nouvelle jauge de furie façon jeu de baston qu’on charge au fil des tours. Au fur du jeu, on peut débloquer diverses façons plus efficaces de charger la barre, ainsi que diverses furies correspondant aux diverses familles de démons de Megaten. Il y a la furie des jaki, la furie des ladies, la furie des tyrants etc.
Une fois la barre chargée, on va pouvoir utiliser n’importe quelle furie débloquée à condition que la race en question soit représentée dans l’équipe. Par exemple, pour utiliser la furie Dekajaon (qui enlève tous les buffs adverses) de la race kunitsu, il faut impérativement qu’un kunitsu tel qu’Arahabaki soit en train de se battre avec vous.
Le principe est chouette, ça peut dépanner voire sauver des combats mal engagés et ça récompense de remplir des quêtes diverses et variées. Le problème, c’est que la furie de base du protagoniste garantit des attaques critiques pour toute l’équipe pendant tout le prochain tour, et que ce pouvoir est bien trop pété pour faire quoi que ce soit d’autre 99% du temps.
En fait, je roulais tellement sur le jeu vers la fin avec mes démons complètement craqués que je n’ai trouvé, comme alternative amusante, que la magatsuhi de la race genma qui propose un pari avec le joueur : elle doublera l’XP et les thunes gagnées en combat si vous arrivez à tuer les adversaires au prochain tour. C’est un défi qui a rendu des combats garantis beaucoup plus excitants et je pense même que le prochain jeu Press Turn pourrait aller plus loin dans l’intégration de ce genre de micro-défi : finir le prochain tour adverse avec tous ses HP, empoisonner un ennemi dans le prochain tour, vider la barre de MP d’un de ses persos etc.
Là encore, il y a de quoi creuser pour un futur SMT6 et, comme promis dans mon tl;dr il y a vingt minutes, c’est sur cette impression positive mais mitigée mais pleine d’espoir que je vous laisse.