À tête reposée, après une finale au scénario superlativesque, je ne sais toujours pas exactement quoi retenir, tant la rencontre a basculé dans l’irrationnel complet. L’équipe de France a joué son meilleur jeu en alignant quasiment son équipe de remplaçants…
C’est vraiment une triste sortie pour les vétérans de 2014. Lloris a fait une super coupe du monde et encore de nombreux arrêts pendant 120 minutes, mais il restera comme celui qui n’a jamais réussi à remporter une séance ni même arrêter un tir au but en équipe de France ; Giroud, si redoutable dans ce rôle de pivot infatigable, a semblé mangé physiquement par une horde de gnomes bien trop mobiles et affamés pour lui ; Varane, après un match au final assez neutre, finit à genoux, lessivé et exsangue, tandis que Griezmann, qui a porté l’équipe sur ses épaules durant tout le tournoi, est apparu inexplicablement éteint, systématiquement en retard, jamais bien placé, incapable de proposer des solutions dans l’entrejeu, au point d’être devenu un problème plutôt qu’une solution. L’imprécision incroyable de Rabiot à la relance, la fébrilité effrayante de Hernandez et la défense perpétuellement sur le reculoir de Koundé - comme un symbole, il est dans ses buts quand il veut repousser le tir de Messi en prolongation, quand il était devant la ligne dans les arrêts de jeu contre le Maroc - et je ne parle même pas de Dembele car j’ai promis de rester poli, mais à ce niveau là de performances individuelles, c’était impossible de gagner. On a beaucoup salué et à raison le coaching actif et osé de Deschamps, mais ce qui remet la France dans le match, c’est surtout la sortie de Di Maria, jusqu’alors intenable, à la 64e : pendant près de 40 minutes les Argentins ont ensuite cessé d’être dangereux, bien épaulés il faut le dire par l’activité incroyable de Koman et Kolo Muani.
Comme il y a toujours une leçon idiote à retenir de ce genre de match, je retiens que la malédiction des arriérés qui suit Deschamps depuis l’Euro 2021 a encore frappé ; et que Dédé paye son choix étonnant de partir avec un 4-4-2 en tête mais aucun latéral droit de métier dans le groupe. Du début à la fin, le côté droit aura été notre point faible, et toutes les équipes auront insisté dessus. Malgré une bonne performance contre le Maroc, Koundé était trop tendre à ce poste, et Rabiot ne peut pas couvrir deux ailiers en même temps.
L’autre erreur, je pense qu’elle se joue au second match, à la première mi-temps, contre le Danemark. On redoute l’équipe, mais on joue super bien. Pour Deschamps comme pour tous les observateurs, on a enfin notre équipe-type, ce 4-3-3 qui se transforme en 4-4-2 en phase défensive avec Dembele en milieu droit. Sauf que ce n’était pas le système qui était bon ; c’est le Danemark qui était inoffensif. Ce système incroyablement risqué pour une équipe de Deschamps a le mérite de mettre Giroud et Mbappé dans leurs positions préférentielles ; mais il repose entièrement 1/ sur la capacité des trois milieux à couvrir une zone immense 2/ 2/ la rigueur défensive et la lucidité offensive du mec le plus irrégulier et dilettante que l’histoire du foot français ait porté, Dembele. Sauf qu’après quelques coups de rein bien sentis en début de compétition, et encore un peu contre l’Angleterre, il s’est progressivement complètement éteint, et la France, déjà très exposée dans ce système, se retrouvait en infériorité numérique systématique sur l’aile gauche - qu’a pilonné l’Argentine à grands coups de renversements de Messi vers Di Maria. Et comme derrière on n’a pas Kyle Walker mais un central droit, bon courage…
Il ne s’en est pas fallu de beaucoup pourtant. Le plan de Deschamps, à savoir serrer les fesses en priant saint Hugo et saint Antoine jusqu’à ce que Kyky plante ou fasse planter à la 80e a failli marcher, en tout cas on passe l’Angleterre et le Maroc dans des matchs où la logique sportive et le seumistan auraient logiquement exigé que la France chutasse. Quel dommage, évidemment c’est facile à dire rétrospectivement, mais quel dommage de ne pas avoir basculé plus tôt dans le tournoi sur un système avec un quatrième milieu plus stabilisateur. Je suis même étonné que Deschamps n’ait pas mis Fofana à la place de Dembele, façon Matuidi en 2018, ça lui aurait tellement ressemblé.
Au final, un match d’anthologie, des regrets au goût inédit - c’est n’était pas du tragique comme en 2006, ni de la sidération comme en 2016, ni même du gâchis comme en 2021, juste un sourire très amer, la satisfaction fair-play de voir le meilleur joueur du monde, Di Maria, enfin soulever la coupe du monde, la gêne et l’incompréhension de voir le meilleur gardien de la rencontre confondre en mondovision sa récompense et un urinoir, relever sportivement Mbappé pour mieux le descendre dans le vestiaire ; et cette idée assez inattendue, sans doute assez française, qu’à force de s’être habitué à la gagne moche sous Dédé, lui aussi avait le droit d’entrer dans le vrai panthéon du foot français, celui des perdants romantiques. Bienvenue Dédé. On a aimé ta chatte, on a aimé ta culture italienne, mais tu étais une anomalie. Enfin, maintenant, tu es vraiment des nôtres. Tu as ramené l’amertume à la maison.