Pas trop de rapport avec le Brexit à ma connaissance, plutôt le même cycle que l’US Postal :
- Tous les observateurs assistent médusés à la supériorité écrasante d’une armée de Terminator dont il faut applaudir le « professionnalisme » et la chasse aux « gains marginaux ». En se mordant très fort les lèvres parce que personne n’y croit mais qu’on ne peut pas tomber dans la diffamation avec pour seul élément que c’est bizarre, là, quand même, votre pistard taillé pour faire de la vitesse avec ses cuissots de bovin d’un seul coup il plane comme un fékir en montagne et met une minute à tous les spécialistes (un peu comme si un Pokémon type feu buttait tout le monde dans un donjon Eau, ce genre de bug).
- Puis un contrôle antidopage ne se passe pas comme prévu - cas rarissime, il est positif, cas plus fréquent, oh zut notre champion a oublié de se lever, ou son urine ne correspond pas à la sienne, ou y a un truc pas illégal mais chelou dedans, qu’on va expliquer par le fait qu’en fait il est athmatique - comme de bien entendu, qui n’est pas cycliste de haut niveau et athsmatique - ou accro à la viande de Kobe - ou a accidentellement sniffé de la coke en croyant que c’était du sucre glace, l’erreur bête. L’excuse grosse comme une maison passe, parce que c’est le numéro 1 mondial, le maillot jaune de la plus grosse course de l’année, et qu’à l’UCI on est contre le dopage à condition que ça ne fasse pas trop de mal aux droits TV ni à l’image du sport, donc c’est ok d’aller à la vitesse de motos, on vous couvre, soyez juste discrets les gars.
- Et puis les années passent, les carrières s’arrêtent, un ancien de l’équipe un peu vénère pour une raison x ou y, ou juste qui a un peu de mal à dormir la conscience tranquille, décide de s’ouvrir dans les médias des coulisses pas tip-top de son ancienne équipe. Et/ou un ex-toubib avec lequel on s’empressera de nier tout lien se fait gauler à la douane avec une mallette de viande de Kobe en seringue - et l’enquête met du temps à avancer, parce que le temps du judiciaire, tout ça.
Et comme ça peu à peu les preuves matérielles et orales de ce qui était évident commencent à tomber, mais à chaque fois, structurellement trop tard pour interrompre la mascarade en direct. En vrai ce n’est pas siiii différent des affaires de dopage dans le foot, sauf qu’il y a encore moins d’intérêt à les étouffer, même si personne n’est dupe.
De mémoire, le dernier à s’être fait griller en plein tour, c’était Riccardo Ricco, positif à l’EPO en 2008 (!), du reste multirécidiviste (et pas dénué d’humour : à côté de ça, il est antivax). Sa principale erreur est semble-t-il de s’être dopé dans son coin, en plus avec un produit bien connu depuis dix ans, c’était turbo déb’ de sa part, il s’est d’ailleurs fait virer de son équipe, alors que le dopage organisé d’équipe, c’est souvent bien plus difficile à établir.
Je comprends que pour quelqu’un qui n’aime pas de base le cyclisme ça rende le sport encore moins intéressant, alors qu’on pourrait dire que c’est juste le seul qui intègre aussi ouvertement la triche à sa méta. Franchement, dans quel autre sport il existe des classements officieux de la triche ? Ca donne du reste lieu à des débats assez rigolos-déprimants, du type : qui est le dernier vainqueur clean du tour de France ? Il est généralement admis que le dernier à être à peu près au-dessus de tout soupçon, c’est l’Australien Cadel Evans en 2011. Ca tient à un faisceau d’éléments : il n’a jamais été associé de près ou de loin à une affaire (zéro contrôle suspect, jamais été dans les équipes prises la main dans la poche de sang) ; à sa carrière d’éternel Poulidor de gens dopés et/ou très louches et/ou franchement trop insolents de facilité (Contador, Schleck) ; et enfin à son style assez caractéristique, vautré, besogneux, boule de souffrance et de pugnacité sur sa selle, il ne lui manquait que la suie sur les joues, il y avait du Emile Zola dans ce coureur, tu ne pouvais que souffrir avec lui et vouloir le meilleur pour lui tout en sachant qu’il appartenait aux damnés.
Genre cette « journée sans » (en français dans le texte) : pas un des mecs qui l’ont décroché ce jour là n’ont échappé à un contrôle positif ou une suspicion de dopage.
Cadel Evans c’était vraiment la grenouille dans le bocal. D’ailleurs l’unique Tour qu’il a remporté, en 2011, c’est à la fois celui où toutes les têtes d’affiche ou presque étaient absente et l’un de ceux où la vitesse moyenne était la moins élevée depuis le début du siècle. C’est malheureusement un indicateur très limité, vu que le parcours change chaque année, et qu’il suffit d’une édition très montagneuse pour faire baisser cette moyenne (cas des éditions 2015 et 2016 notamment).
Bref, tout ça pour dire que personne n’est dupe, toute personne qui roule plus vite que Cadel Evans est par nature suspecte, mais il faut souvent attendre la fin de cycle d’une équipe pour que les langues se délient. L’an dernier, le Tour a été survolé par deux Slovènes, pays historiquement sorti de nulle part en matière de cyclisme, avec notamment un retournement de situation hallucinant à la dernière étape : la victoire avec plus d’une minute et demi d’avance de Tadej Pogačar, pur grimpeur franchement superbe à voir courir, jeune, très offensif, un côté balek de la stratégie d’équipe et de la course de position, un côté cyclisme romantique insouciant à l’ancienne, de quand y avait pas les oreillettes. Problème : ce n’est pas en montagne, mais dans un contre-la-montre que lui et ses 48 kg tout mouillés ont mis la misère à Primoz Roglic et Tom Dumoulin, deux spécialistes super vnr de l’exercice, qui n’ont toujours pas trouvé d’explication rationnelle.
A noter également une surcouche assez rigolote : dans le monde du cyclisme, la propension d’une équipe à tricher est en partie spoilée par son nom - qui est celui de son principal sponsor. Par exemple, les US Postals, qu’est-ce qu’ils allaient vite ! Et je crois que ça n’a jamais posé problème aux postes américaines qu’on les associe à une vitesse suspecte - c’est le contraire qui aurait été embêtant. Par contre quand tu t’appelles FDJ - Française des jeux - en termes d’image il vaut mieux pas se retrouver pris à magouiller (ce qui n’empêche évidemment pas les brebis galeuses de brebigaler). Mais c’est plus rare.
Mais de toute façon, suivre le cyclisme pour voir un vainqueur propre, c’est complètement absurde - c’est comme acheter une Switch pour jouer au prochain GTA, désolé mais c’est pas la Switch le problème, c’est juste l’acquéreur qui n’a rien compris à l’intérêt de la machine. Le cyclisme, c’est fait pour voir chaque année les Français perdre avec panache, même comme quand, il y a deux ans, le meilleur était objectivement français. Et tout comme Thibault Pinot lui-même, le cyclisme ne déçoit jamais.
Bref, vive le cyclisme.