Pour AB-onder dans le sens d’@AB-user, c’est vrai que j’ai parfois eu l’impression que les patterns des ennemis étaient un peu trop statiques pour être crédibles. Pour être honnête, c’est aussi beaucoup lié à la manière, très laborieuse, dont j’ai abordé mes trois premières heures.
Concrètement, les premiers mobs que je rencontre et que je prends vraiment le temps d’observer, c’est un cavalier qui rentre de manière assez calme et majestueuse dans un camp retranché avec l’assentiment du gardien et de ses loups domestiques (?), une bande de morts-vivants vagabonds pas bien téméraires qui remontent un chemin de pierre en direction de je ne sais plus quel château bien trop imposant pour que je n’ose m’en approcher à moins de 300 mètres, ou encore deux impressionnants géants efflanqués qui traînent lentement leur misère et une diligence comme le boulet du désespoir à leurs pieds, et franchement l’effet wow est là.
Sauf que comme à chaque fois, je paume mon cheval en essayant de m’accroupir par erreur, range accidentellement ma lame en essayant de la dégainer et locke le mauvais streum et fais une roulade qui me fait atterrir dans les genoux de celui que je voulais fuir, létalement occis je me retrouve, fort marri je ressuscite, et pleutre vindicatif que je suis, je convoque aussitôt spectro-dada pour me rendre exactement au même endroit et prendre ma revanche huitième rouste d’affilée. Et là, forcément, la magie opère moins : les streums sont plus ou moins au même endroit, en train de faire à peu près la même chose, à un ou deux mètres près, comme si ils suivaient une boucle restreinte qu’on rejoint en cours de route, sans qu’il y ait la richesse d’emploi du temps d’un Majora’s Mask ni l’émergence d’un Breath of the Wild. Et c’est encore plus voyant quand on s’arrête à un feu de camp pour choisir l’heure du réveil.
Fatalement, les routines devenant apparentes, le monde paraît aussitôt un peu plus artificiel, ce qui est dommage, vu son envergure, sa générosité et son obsession fantastico-naturaliste. On m’objectera à raison que j’avais qu’à être plus dextre, moins obstiné, et surtout moins souvent mort : comme relevé à de nombreuses reprises, rien n’empêche d’aller vaquer ailleurs au lieu de se focaliser de manière obsessionnelle sur un carré de 15 mètres carrés qui ne nous avait du reste rien demandé.
Après, ça fait aussi partie de l’expérience des FromSoftware j’imagine, mais c’est vrai qu’il y a des moments où j’agresse des types, voire des animaux, sans savoir trop pourquoi (par habitude des précédents jeux en open world, certainement), mais c’est clair que la visée n’est pas explicite et que j’ai parfois l’impression d’être un Orangina à l’orange sanguine dans un monde où en vrai, pas grand monde ne m’agresse tant que je ne m’approche pas trop, et j’en viens à me demander ce que je fous dans ce monde, pourquoi j’y ai autant la trouille de la mort, et pourquoi j’ai des relations aussi conflictuelles avec une altérité généralement occupée à s’en foutre. Je subodore que Elden Ring est une grande réflexion heideggerienne sur le dasein dont je ne perçois pas encore toute la profondeur (ça viendra peut-être quand j’aurai enfin réussi un parry). En tout cas, l’analogie avec SotC soulevée plus haut est assez intéressante, c’est vrai qu’il y a un peu de ça, ce côté romantique 1830 paumé dans un monde à la beauté maladive écrasante, et dont la mélancolie profonde se mue en folie meurtrière absurde et désespérée.
Globalement, avec le recul (et sans avoir pu y rejouer n’étant pas chez moi pour quelques jours), j’ai l’impression qu’Elden Ring est un jeu qui fait plus peur qu’il n’est vraiment méchant. Les affrontements y sont incroyablement coûteux, il est impossible pour les deux belligérants d’en sortir indemne et aisé d’y succomber en deux coups de cure-dent, mais il est tout aussi aisé de les éviter, voire parfois juste de ne pas les provoquer (bon, je suis probablement pas encore allé dans les coins où on ne nous laisse pas vraiment le choix non plus).
Pour revenir à ce côté SotC, le plus déconcertant je trouve est l’omniprésence des messages placés ça et là dans l’environnement. Je sais que c’est complètement dans la grammaire des Souls et qu’un FromSoftware n’en serait probablement pas un sans ces bulles, mais autant ça marche dans le cadre un peu ironique et provocateur d’un Dark Souls, autant c’est un peu un mood breaker dans un open world aussi atmosphérique. Idem d’ailleurs des fantômes d’autres joueurs qu’on voit quelques secondes, cela fait partie des points sur lequel le système de jeu tire dans les pattes de l’univers créé : comme dirait un estimé collègue, c’est trop gamy, et j’ai chaque fois mon incrédulité qui se suspend, c’est dommage.
Pour l’instant je reste quand même dans l’idée qu’on n’a jamais fait mieux que BotW en matière d’interpénétration entre l’univers et le système de jeu, et que c’est pour l’instant sur ce point qu’Elden Ring me frustrouille un peu (au-delà des questions d’aridité, qui me dérange moins car j’ai intégré qu’elles faisaient partie du délire).