Tiens, une anecdote dominicale « kanji et jeux vidéo » pendant que je range mes bouquins et monte des étagères avec l’aide de cette merveilleuse perceuse-visseuse Hychika (merci bébé comment faisais-je sans toi ?).
Le 大技林 daigirin (« grande forêt des astuces ») était une collection de codes secrets, trucs et astuces publiée par Tokuma Shoten depuis 1989 et affiliée à ses différents magazines JV (Famimaga, PC Engine Fan, Megadrive Fan etc.). Typiquement, le premier numéro de chaque nouvelle année contenait un cahier spécial bonus recueillant tous les trucs et astuces connus pour les jeux du constructeur ou de la bécane concernés.
Par exemple ci-dessus, le numéro de PC Engine Fan paru pour lancer l’année 1994 (daté comme de coutume pour le mois de février donc un mois en avance comme je l’ai souvent expliqué) contenait ce cahier Daigirin‘94 consacré aux jeux PC Engine.
En complément de ces bouquins, Tokuma Shoten éditait une ou deux fois par an un omnibus recueillant toutes les astuces de toutes ces machines dans un tome qui dépassait allègrement les mille pages pour environ ¥980. En 1996, par exemple, le Daigirin automnal dépassait les 5000 jeux et les 9000 astuces.
Il me semble que j’en avais déjà parlé ici il y a une dizaine d’années (sans l’aspect linguistique qui vient) mais ce bouquin était également une mine d’information pour les joueurs import car il avait pour seconde utilité de recenser toutes les dates de sorties de jeux sur toutes les consoles – y compris pour les jeux dont le bouquin ne donnait pas d’astuce – à une époque où l’on ne pouvait pas encore confirmer ce genre d’info facilement via un Internet encore balbutiant. J’avais pris pour habitude d’éventrer le bouquin pour n’en garder que l’index des sorties et il me reste même quelques cadavres sur les bras. Quelle belle étagère, ma foi ! Hychika !
Le 技 au milieu du nom 大技林, est habituellement lu waza quand on le laisse tout seul et peut grosso modo se traduire “technique”, “truc”, “astuce”, “art” etc.
Dans ce cas précis, son apparition fait référence au terme 裏技 urawaza, le terme japonais le plus commun pour parler d’astuces de jeux vidéo mais aussi, dans d’autres contextes, le terme employé pour parler d’une technique cachée, d’une astuce de pro ou d’une botte secrète. Vous voyez l’idée.
Cependant, si l’on voulait être pédant, on corrigerait l’info précédente car dans ce cas précis, 技 fait plus spécifiquement référence à ウル技 uruteku, contraction de ウルトラ技 urutorateku (« ultra technique »), qui était le nom de la très populaire section trucs et astuces du magazine Famimaga (Family Computer Magazine) de Tokuma Shoten – à tel point qu’urutorateku était quasiment synonyme et interchangeable avec urawasa au plus haut de la folie Famicom.
Ici, 技 est donc – non sans un brin d’espièglerie –arbitrairement censé être lu teku (abréviation de « technique »), ce qui contitue une forme de gairaigo. Si vous avez bien suivi, on vient de voir en quelques paragraphes trois façons fluides et complètement différentes de lire le même kanji pour parler du même bouquin.
kanji |
lecture |
(groove de lecture) |
技 |
gi |
(on-yomi) |
技 |
waza |
(kun-yomi) |
技 |
teku |
(gairaigo) |
Le nom du bouquin a sa propre histoire rigolote. 大技林 daigirin (donc « grande forêt des astuces ») est une parodie du 大辞林 daijirin (« grande forêt des mots »), un dictionnaire édité par la célèbre librairie Sanseidō, particulièrement réputée dans le milieu éducatif et universitaire.
Le bouquin avait fait jaser lors de sa première édition en 1988 car, jusqu’ici, le dictionnaire 広辞苑 kōjien d’Iwanami Shoten était resté la seule véritable référence nationale dans le domaine linguistique depuis son apparition au début du XXème siècle. Tokuma Shoten avait donc eu l’humour de parodier Sanseidō pour son propre « nouveau dictionnaire » (d’astuces) un an plus tard.
Notez que dans les années 2000, Tokuma Shoten a également sorti un successeur spirituel au 大技林 daigirin nommé le 広技苑 kōgien, parodiant cette fois le nom du leader du marché des dicos au Japon.