Tout est sur YouTube mais je le déconseille fortement à part si vous cherchez à récupérer un ou deux clips qui manquent dans un des films, c’est vraiment se gâcher l’expérience.
Je l’ai fini hier soir à 100% après une quinzaine d’heures. C’est vraiment un objet théorique fascinant, c’est rare d’avoir autant d’angles d’approche pour parler d’un jeu vidéo (ce qui participe assurément de l’intérêt critique qu’il suscite, en plus de sa structure impressionnante quand on le considère dans sa totalité).
Ma partie s’est déroulée en deux phases bien distinctes. Tout le début, franchement rugueux, a nécessité de débroussailler les match cuts pour avoir une trame complète sur Ambrosio. J’ai vraiment détesté ce passage, d’autant que je me refusais à visionner des fragments isolés, persuadé que c’était une perte de temps (et au final je pense que j’avais raison).
D’un pur point de vue mécanique, la majorité des joueurs a l’air d’accord sur le fait que les match cuts sont un procédé brillant mais bancal dans son exécution en raison de l’absence de lien logique entre les différentes scènes et le recours quasi-constant à un algo. Il y a bien quelques correspondances préparées, comme le jump amusant des fesses de Goodman à une statue kitschouille, mais ça, n’importe quel vieux ZAZ le faisait beaucoup mieux.
A posteriori je pense que ce moment de flottement est quand même une composante essentielle de l’expérience, et même de la narration, qui joue sur un chausse-trape meta très à la mode mais beaucoup mieux amené que d’habitude. Il y a un réel plaisir esthétique à se laisser porter par les associations sans trop y réfléchir, un sentiment de vertige provoqué par les changements d’époque ou les ruptures de ton brutales. On n’est pas si loin d’une œuvre d’exploration à la Marker dans Immemory comme l’a remarqué Kanu. Il n’y a pas de production de sens à partir de connexions fortuites comme chez les surréalistes, pas non plus de création poétique comme dans les cut up commentés des derniers Godard, juste un rapport éminemment sensoriel qui active la mémoire qu’on peut avoir du cinéma, en tout cas de ce cinéma là.
A un niveau diégétique, on peut bien entendu voir l’omniprésence des symboles bibliques à travers les films et les époques (la croix, la pomme, le serpent) comme une résurgence cyclique du récit originel offert aux hommes par The Other/The Other One. C’est un peu tartignole, mais c’est un peu drôle aussi, et ça justifie plus ou moins l’arborescence des match cuts.
Enfin bref, après avoir débloqué 95% des clips j’ai pu m’attaquer à la compréhension de l’histoire. La première grande idée du jeu, à mon sens, c’est de permettre au joueur de choisir entre la chronologie du tournage ou celle des films.
La seconde, c’est de se concentrer exclusivement sur la représentation du processus de création. Les films existent et sont parfaitement compréhensibles, même à l’état d’ébauche. Je doute que tout cela aurait donné des chefs d’œuvre, mais l’omniprésence de l’équipe de tournage, du clap aux maquilleurs, toute cette énergie dépensée pour créer quelque chose, même mauvais, toutes ces scènes où les acteurs doutent, discutent, se marrent ou s’engueulent, c’est pas la Nuit Américaine, mais c’est quand même une gigantesque déclaration d’amour au cinéma.
Déployé sur trois décennies, c’est toute une histoire de la création cinématographique qui s’offre au joueur, à travers les choix de pellicule évidemment, mais aussi dans le style de jeu des acteurs ou la construction des effets spéciaux (mention spéciale à la colombe d’Ambrosio).
A l’inverse, suivre la chronologie du tournage met en lumière l’évolution des rapports entre les personnages, comment les relations se nouent ou se dégradent. Évidemment tout ça a un impact sur le déroulement du tournage, on ne peut pas comprendre l’un sans voir l’autre.
J’ai donc tout regardé deux fois, en suivant les deux chronologies, et j’ai du mal à imaginer qu’on puisse faire autrement. Il y a un puzzle game incroyable dans ce jeu, qui n’a rien à voir avec les match cuts mais qui ne peut pourtant pas fonctionner sans elles, puisque toute cette histoire n’est qu’un piège sophistiqué pour amener le joueur vers les crédits (qu’évidemment personne ne comprend quand il y arrive).
J’étais très surpris de voir à quel point l’histoire se tient, contrairement à Her Story il n’y a pas de pirouette ambiguë, tout est limpide, magnifiquement agencé et en adéquation totale avec son matériau. J’ai vu pas mal de critiques prendre le jeu de haut là-dessus mais l’idée de The One et tout l’aspect psychographique c’est du Lynch à 2000%, on navigue en plein dans le mythos de Twin Peaks. Les éléments meta ont vraiment fonctionné sur moi, à trois heures du mat j’avais carrément les chochottes sur les doubles rembobinages de la mort/libération de Marissa, ce gros plan final mon dieu.
Alors oui, le tuto est pourri et je suis devenu fou à ne pas savoir s’ils voulaient que je rembobine en standard ou en frame by frame, la Xbox a planté une bonne cinquantaine de fois, parfois toutes les cinq minutes, j’ai frisé la lobotomie à chercher mon dernier clip d’Ambrosio.
Mais quand on considère l’œuvre dans sa totalité, le travail préparatoire pour autoriser les match cuts, la mise en place de l’histoire où se télescopent tous ces éléments de possession, le souci du détail dans la représentation des différents tournages, franchement, comment ne pas être sur le cul ? Il y a un travail sonore complètement hallucinant où le jeu te balance une musique super flippante sur les scènes de danse quand tu accélères en contradiction totale avec la musique qui passe à vitesse normale.
Comment un truc peut-être à la fois aussi génial et complètement pété ?
Un très mauvais jeu.<<.ɘénnɒ’l ɘb υɘį ɘl